•   

    Le chant d'Haïganouch

    Le chant d'Haïganouch : roman / Ian Manook.- Paris : éditions Albin Michel, 2022

    ISBN 9782226457127

     

     

     

     

    Ils en rêvaient : reconstruire leur pays et leur histoire. Comme des milliers d’Arméniens, Agop, répondant à l’appel de Staline, du Parti Communiste français et des principales organisations arméniennes de France, quitte sa famille et embarque en 1947 à bord du Rossia dans le port de Marseille. Mais au bout du voyage, c’est l’enfer soviétique qu’il découvre et non la terre promise.

    Sur les bords du lac Baïkal, Haïganouch, une poétesse aveugle, séparée de sa sœur lors du génocide de 1915, aujourd’hui traquée par la police politique, affronte elle aussi les tourments de l’Histoire.

    Des camps de travail d’Erevan aux goulags d’Iakoutsk, leurs routes se croiseront plus d’une fois, au fil d’une odyssée où la peur rencontre l’espoir, le courage et l’entraide. Agop et Haïganouch parviendront-ils à vaincre, une fois de plus, les ennemis de la liberté, pour s’enfuir et retrouver ceux qu’ils aiment ?

     

    Après le succès de L’oiseau bleu d’Erzeroum (lauréat des Trophées littéraires des Nouvelles d’Arménie magazine), Ian Manook signe une nouvelle fresque familiale bouleversante et une saga historique tumultueuse, hymne à la résistance et à la mémoire d’un peuple.


     Autour du livre, Au fil de la presse...

    Premières phrases du livre :

    L’ensemble de ce deuxième opus s’étale de 1947 à 1960.

     

     

    Rue du Hêtre-Pourpre, à MeudonAgop et Haïgaz ne sont pas d’accord. Le premier est prêt à partir pour l’URSS car il croit aux promesses de Staline assurant que les Arméniens qui rentreront à Erevan seront bien reçus et pourront poursuivre leur vie au pays. Le second tente de décourager son ami mais n’y parvient pas.

    Malgré toutes les réticences de sa famille, Agop, personnage fougueux et déterminé, embarque, à 46 ans, sur le paquebot Rossia, un bateau prévu pour trois cent cinquante passagers et sur lequel on entasse trois mille cinq cents personnes qui vont donc vite déchanter malgré les assurances du Parti Communiste Français.

    Reviennent alors les principaux protagonistes de L’oiseau bleu d’Erzeroum, plus d’autres, bien sûr, ce qui fait que j’ai un peu de mal à m’y retrouver. 1947 : pendant qu’Agop et tous les Arméniens de France voient leurs bagages pillés, rencontrent d’autres Arméniens venus d’Égypte ou du Liban, tous logés à la même enseigne, c’est en Sibérie que Ian Manook m’entraîne, à Koultouk.

    C’est là que continue de sévir l’âme damnée du roman, le camarade Anikine, tortionnaire d’Haïganouch qui est aveugle et prouve sa virtuosité au piano. Pliouchkine, son mari, est exécuté par l’homme de Beria et Haïganouch se retrouve seule avec Assadour, son fils.

    Photo ci-dessus : Le Mont Ararat, aujourd'hui en Turquie mais symbole national de l'Arménie.

     

    Les atrocités ne font que commencer ou plutôt se poursuivent avant de monter de plusieurs crans avec les déportations, le goulag, les sévices, le froid, le gel, les exécutions sommaires dont ne survivent que les plus forts ou les plus chanceux.

    Photo ci-dessus : Erevan et le Mont Ararat.

     

    Ian Manook met bien en valeur toute la solidarité entre les Arméniens, même si subsiste un malentendu entre ceux qui vivaient déjà sur place et ceux qui se sont laissés berner pour rentrer au pays.

     

     

    Si les souffrances, les vengeances, les viols, les crimes reviennent souvent, Ian Manook réussit tout de même à ménager quelques moments de douceur, d’amour, d’érotisme même dans quelque isba bien cachée au fond des bois.

     

    Se révèle enfin Le chant d’Haïganouch, ce poème mettant en avant le fameux oiseau bleu, texte mis en musique par Zazou. Il l’avait appris à Erevan et avoue qu’il a été écrit par Haïganouch Tertchounian : « ce texte raconte très exactement l’histoire d’Araxie, de sa petite sœur Haïganouch et d’Assina, qui aujourd’hui s’appelle Haïganouch aussi. »

    Heureusement, Staline meurt le 5 mars 1953. Si le peuple défile trois jours durant devant son catafalque, mille cinq cents personnes sont étouffées ou piétinées au cours de cet hommage posthume. Cette disparition ne signifie pas la fin du calvaire de millions de prisonniers, de travailleurs forcés du goulag car d’autres contraintes seront vite imaginées pour s’acharner encore sur eux.

     

    Si je ne cite que quelques éléments révélateurs de cette saga, il faut vraiment lire Le chant d’Haïganouch pour s’imprégner de cette époque pas si lointaine et ne pas oublier ces montagnes de douleurs, ces millions de vies abrégées sans vergogne sur ordre de politiques bien au chaud dans leur datcha.

     

     

    J’ajoute qu’il faut aussi apprendre le rôle plus qu’ambigu de Mitterrand, alors ministre des Anciens Combattants et des Victimes de guerre en 1947. Son marchandage avec le pouvoir soviétique pour récupérer les Français prisonniers des Allemands et laisser rentrer les nombreux Russes aussi prisonniers des Allemands, s’est fait au détriment des Arméniens. Résultat : « en 1949, Staline a fait déporter vers la Sibérie quarante mille Arméniens dont une très grande partie des rapatriés de 1947. »

    Au travers de l’histoire romancée de sa famille, Ian Manook (Patrick Manoukian) m’a permis de prendre conscience d’un terrible drame trop vite passé sous silence et oublié, noyé dans les autres drames de la Seconde guerre mondiale.

    Pour toutes les victimes de cet odieux marchandage, L’oiseau bleu d’Erzeroum et Le chant d’Haïganouch, sont une belle performance littéraire défiant l’oubli et rendant hommage à une communauté au formidable sens de la solidarité et de la fête comme le prouve l’auteur à plusieurs reprises.

    source : Jean-Paul, notre-jardin-des-livres.over-blog

     


     

     


     

    Fresque familiale et historique d'une famille arménienne installée en France.
    Des pages sidérantes de cruauté sur la politique de terreur orchestrée par Béria a Erevan, et la survie dans les camps de travail sur le chantier de la voie ferroviaire BAM (Baïkal-Amour-Magistral). Ouvrage historique très documenté. 
    Contexte : de juin 1946 à la fin de l'année 1947, date à laquelle les débuts de la Guerre Froide stopperont le mouvement, près de 100 000 Arméniens, soit environ le dixième de la population estimée de la diaspora, prennent le chemin de l'Arménie ; 7 000 sont partis de France (via Marseille, Batoumi, Erevan) dont plus de la moitié de la région parisienne. Saignée par la Seconde guerre mondiale, enhardie par sa victoire militaire, l’URSS de Staline lance un appel aux Arméniens du monde entier en 1946, les invitant à s’installer dans leur mère patrie. En France, et appel est relayé par le Parti communiste français.
    Une centaine de milliers de candidats, pour la plupart gagnés aux idéaux socialistes, embarquent pour la petite République soviétique exsangue. La désillusion est à la hauteur des illusions. Les immigrés de l’Ouest n’auront de cesse ne chercher par tous les moyens à rentrer chez eux. Ils y parviendront presque tous des décennies plus tard. 

    (Lu en mars 2024, collection Médiathèque de Labarthe-sur-Lèze)


    votre commentaire
  •   

    SauvaginesSauvagines

     

     

    Sauvagines : roman / Gabrielle Filteau-Chiba.- Paris : éditions Stock, 2022

    ISBN 978-2-234-09226-6

     

     

    Raphaëlle est garde-forestière. Elle vit seule avec Coyote, sa chienne, dans une roulotte au cœur de la forêt du Kamouraska, à l’Est du Québec.
    Elle côtoie quotidiennement ours, coyotes et lynx, mais elle n’échangerait sa vie pour rien au monde. Un matin, Raphaëlle est troublée de découvrir des empreintes d’ours devant la porte de sa cabane. Quelques jours plus tard, sa chienne disparaît. Elle la retrouve gravement blessée par des collets illégalement posés. Folle de rage, elle laisse un message d’avertissement au braconnier. Lorsqu’elle retrouve des empreintes d’homme devant chez elle et une peau de coyote sur son lit, elle comprend que de chasseuse, elle est devenue chassée. Mais Raphaëlle n’est pas du genre à se laisser intimider. Aidée de son vieil ami Lionel et de l’indomptable Anouk, belle ermite des bois, elle échafaude patiemment sa vengeance.

    Un roman haletant et envoûtant qui nous plonge dans la splendeur de la forêt boréale, sur les traces de deux-écoguerrières prêtent à tout pour protéger leur monde et ceux qui l’habitent.


     Autour du livre, Au fil de la presse...

    Premières phrases du livre :
    Les chaînes fouettent les niches, contiennent tout débordement possible. Le hurlement cacophonique de la centaine de bêtes annonce au maître mon arrivée, flairée sous le vent. Elles jappent d’excitation, maintenant que j’approche et m’enfonce jusqu’aux chevilles dans la boue du sentier de quatre-roues qui mène à leur geôle. Je cherche des yeux la cage où se trouve la dernière portée, pour laquelle j’ai fait toute cette route.
    Pourquoi ce titre
    Sauvagines est en quelque sorte la suite de Encabanée, un livre que j’ai beaucoup aimé. Je l’ai sortie de ma pal ce mois-ci, car en janvier sort Bivouac, le dernier tome de cette trilogie, et comme je vais lire ce titre avec mon groupe de lecture des sauvageonnes il fallait bien que je lise Sauvagines avant.

    Sauvagines – Mon avis
    Dans Sauvagines nous faisons la connaissance de Raphaëlle, une garde-forestière qui vit dans une roulotte, avec sa chienne Coyote, au milieu de la forêt du Kamouraska au Québec.
    Un jour, Coyote va être prise au piège dans un collet posé illégalement par un braconnier. Cela va rendre folle de rage Raphaëlle et celle-ci va partir en « guerre » contre ce braconnier qui s’approprie sans le moindre scrupule des lieux privés et rôde sans vergogne près de chez elle. Dans sa quête , elle va être aidée par son vieil ami Lionel et va faire la connaissance d’Anouk, que nous avons rencontré dans Encabanée.

    Passé la petite adaptation de langage (comprendre que pour Gabrielle Filteau-Chiba un petit suisse est un Tamia, et que quand la bouilloire bloblotte (j’adore), elle boue), j’ai adoré les trois quarts de ce récit. Suivre Raphaëlle dans sa recherche du braconnier fut un réel de plaisir. L’environnement dans laquelle elle vit est tout simplement magique pour moi (bosser en tant que garde-forestière dans une forêt recouverte de neige, mon rêve !) . J’aime beaucoup l’écriture de Gabrielle Filteau-Chiba et sa façon de décrire – et ressentir la nature – , elle est très immersive, à chaque fois je me projette dans son histoire instantanément.
    Mais, comme pour Encabanée, l’autrice a le chic pour ajouter dans son récit un détail qui m’agace et me fait me détacher de l’histoire.

    Alors bien évidemment, je ne vais rien vous dire sauf que le dernier quart du livre m’a passablement agacé, j’ai trouvé que la résolution de l’intrigue est passée au second plan, par rapport à un événement qui pour moi aurait dû, lui, rester au second plan.
    C’est dommage, car Sauvagines était bien partie pour être un beau coup de cœur.
    Prochainement , avec les copines Sauvageonnes, nous allons lire Bivouac, le dernier tome de la trilogie. J’ai hâte de retrouver les paysages du Kamouraska, j’espère que pour ce dernier opus l’autrice fera un sans faute.

    source : Blog lespassionsdechinouk 


    Sur les terres de la Couronne du Haut-Kamouraska, là où plane le silence des coupes à blanc, des disparus, les braconniers dominent la chaîne alimentaire. Mais dans leurs pattes, il y Raphaëlle, Lionel et Anouk, qui partagent le territoire des coyotes, ours, lynx et orignaux, qui veillent sur les eaux claires de la rivière aux Perles. Et qui ne se laisseront pas prendre en chasse sans montrer les dents.

    J’avais bien aimé Encabanée, le premier livre de l’auteure. Il était cependant très court et la lecture était passée un peu trop vite à mon goût. Il avait aussi quelques petits défauts d’un premier roman, mais j’étais ravie de cette lecture puisque ce genre de livre est assez rare dans le paysage littéraire québécois. J’avais donc très hâte de retrouver Gabrielle Filteau-Chiba et cette seconde lecture a été vraiment excellente. J’ai adoré ce roman.

    Dans Encabanée, on suivait Anouk qui s’était exilée dans une cabane dans le bois. Ici, on suit Raphaëlle, une agente de protection de la faune désabusée par son travail. Elle a l’impression que son rôle consiste beaucoup plus à protéger l’économie et les récalcitrants, que la faune de nos forêts. Il faut dire que ses ressources sont assez minces, que le territoire est grand et que les lois ne sont pas forcément conçues pour protéger réellement la faune.

    « Mon rôle est entre autres de protéger la forêt boréale des friands de fourrure qui trappent sans foi ni loi, non pas comme un ermite piégeant par légitime subsistance dans sa lointaine forêt, non pas comme les Premiers Peuples par transmission rituelle de savoirs millénaires, mais par appât du gain, au détriment de tout l’équilibre des écosystèmes. »

    Raphaëlle vit sur le site d’une vieille érablière abandonnée, proche de la nature. Elle se promène avec la photo de son arrière-grand-mère autochtone dans son camion, une femme qui la fascine et l’intrigue. Elle côtoie les animaux de près, dont une ourse qui se promène sur son terrain. Le livre débute alors qu’elle adopte un animal, mi-chien, mi-coyote, qui sera sa compagne de tous les instants. Sa route croise alors celle d’un braconnier assoiffé de sang, protégé par le silence de ceux qui vivent près de lui. C’est un petit monde, personne ne veut faire de vagues. Quand Raphaëlle découvre qu’il ne traque pas seulement les coyotes et qu’il l’observe, en plus de s’immiscer chez elle, elle ne peut pas se laisser faire.

    En parallèle, Raphaëlle découvre le journal qu’une femme, Anouk, a oublié à la laverie. Le carnet s’intitule « Encabanée ». J’ai adoré le recoupement entre les deux romans de l’auteur par l’entremise de ce journal fictif qui fait le pont entre les deux histoires. On découvre alors une nouvelle facette d’Anouk, le personnage du premier livre, et une belle histoire entre elle et Raphaëlle. C’est aussi pour le lecteur l’occasion de faire la rencontre d’un personnage doux et gentil, Lionel, qui fait office de figure paternelle pour Raphaëlle. J’ai vraiment aimé ce beau personnage, droit et ayant soif de justice pour ceux qu’il aime.

    « Lionel le solide, le bon vivant, le généreux. Tout ce qu’on espère d’un papa. L’incarnation de l’homme des bois de tous les combats. Celui qui connaît l’âge des arbres, associe le nom des oiseaux à leur chant. Celui qui réconforte ma petite fille intérieure par sa seule présence ici. Quiconque voudrait m’atteindre devra d’abord lui passer sur le corps. »

    L’écriture de Gabrielle Filtrau-Chiba est vraiment très belle. Ça se lit comme du bonbon, c’est poétique, militant sans être moralisateur, c’est un livre qui sent le bois d’épinette et l’eau de la rivière, dans lequel on plonge avec un immense plaisir! Si Encabanée était un tout petit livre, Sauvagines est beaucoup plus consistant et le troisième qui m’attends dans ma pile, Bivouac, est encore plus gros. J’ai vraiment hâte de le lire. En retrouvant Gabrielle Filteau-Chiba, ça m’a rappelé à quel point elle a une belle plume. Et surtout, que le roman « long » lui va bien. Elle a le style et le sens de l’histoire pour cela je trouve. 

    « Je suis convaincu, moi, que pour défendre le territoire, il faut l’habiter, l’occuper. »

    Dans Sauvagines, on retrouve cette fois encore de jolies illustrations, comme dans le premier livre. C’est vraiment agréable tout au long de la lecture. J’ai adoré aussi la signification magnifique du titre qu’on découvre au fil des pages. L’image de ce qu’il représente est très forte. 

    Sauvagines est un hommage à la forêt et aux animaux, un plaidoyer pour l’utilisation responsable des ressources et d’une meilleure justice. Une excellente lecture! Une auteure à découvrir et à surveiller, que de mon côté j’apprécie de plus en plus au fil de mes lectures. 

    source : Blog moncoussindelecture


     

     


     

    Belle immersion dans le monde sauvage du Kamouraska : Raphaëlle Robichaud, qui est chargée de faire respecter les règles aux trappeurs et autres usagers de la forêt vit dans une petite roulotte au milieu de la forêt, pendant la saison de la chasse. Le braconnage est roi, la forêt subit les outrages de coupes 'à blanc', et la toute petite équipe (3 agents) de protection de la faune dédiée à cette région est bien en peine de couvrir tout le territoire. Le lecteur s'acclimate plus ou moins vite au langage fleuri choisi par l'auteur (un glossaire éclaire les expressions les plus étranges), mais la lecture est riche, immersive. quelques croquis de l'auteur émaillent le texte.

    (Lu en janvier 2024, collection Médiathèque de Labarthe-sur-Lèze)


    votre commentaire
  •   

    L'expédition du "Kon Tiki"

    L'expédition du "Kon Tiki"

    L'expédition du "Kon Tiki" : sur un radeau à travers le Pacifique [titre original : Kon-Tiki ekspedisjonen] / Thor Heyerdahl ; traduit du norvégien par Marguerite Gay et Gerd de Mautort.- Paris, éditions Phébus (collection Libretto) (édition originale : 1948)

    ISBN 978-2-7529-0547-5

    Notes : Mention sur une page liminaire : "ouvrage publié sur les conseils de Michel Le Bris ; illustrations : photos, croquis

     

    En 1947, Thor Heyerdahl et ses cinq équipiers se lancent l’incroyable défi de parcourir 8 000 kilomètres à travers le Pacifique sur un radeau de balsa, reproduction exacte des radeaux préhistoriques des Indiens d’Amérique du Sud. Partant de Callao – Pérou –, ils naviguent vers les îles polynésiennes de Tuamotu à bord du Kon-Tiki afin de prouver au monde que les ancêtres des Incas étaient allés en leur temps peupler la Polynésie. Cette traversée donna lieu à l’un des plus passionnants récits d’aventures, à la portée universelle. À contre-courant des théories de l’époque, Heyerdahl a en effet contribué, par cette expédition, à bouleverser les idées reçues sur l’origine de ces peuples.

    présentation de l'éditeur

    Chapitrage : 
     + chapitre premier : UNE THEORIE, Un regard en arrière - Le vieillard de Fatuhiva - Ventes et courants - A la recherche de Tiki - Qui a peuplé la Polynésie ? - Le mystère des mers du Sud - Théories et faits - La légende de Kon Tiki et la race blanche - Vient la guerre,
    + chapitre II : NAISSANCE D'UNE EXPEDITION, Chez les spécialistes - Le point crucial - Le foyer des marins- Une dernière ressource - Le club des explorateurs - Le nouvel équipement - Il me vient un compagnon - Un triumvirat - Un peintre et deux saboteurs - En route vers Washigton - Réunion au ministère de la Guerre - Au Q.G. avec nos desiderata - Problèmes pécuniaires - Chez les diplomates de l'ONU - En avion pour l'équateur,
    + chapitre III : EN AMERIQUE DU SUD, Atterrissage en Equateur - Problèmes posés par le Balsa- En avion à Quito - Chasseurs de têtes et "bandidos" - Au fond de la forêt vierge - Quivedo - Coupe des balsas - Descente en radeau de la Palenque - Au ministère de la marine à Lima - Chez le président du Pérou - Dalielsson nous rejoint - Washington - Douze kilos de paperasses - BAptême du feu de Herman - Construction du radeau à l'arsenal - Avertissementes - Avant le départ - Adieux à l'Amérique du Sud,
    + chapitre IV : SUR L'OCEAN, Un départ dramatique - Nous sommes remorqués vers la Haute-mer - Le vent - Lutte contre les lames - Dans le courant de Humboldt - L'avion ne nous trouve pas - Les troncs s'imprègnent d'eau - Bois contre corde - Poissons volants - Un singulier compagnon de lit - Gaffe du maquereau-serpent - Des yeux dans la mer - Fantômes - Rencontre avec le plus gros poisson du monde - Chasse aux tortues de mer,
    + chapitre V : A MI-CHEMIN, Expériences quotidiennes - La question de l'eau potable - La pomme de terre et la citrouille révèlent un secret - Cocos et crabes - Johannès - Nous naviguons dans la soupe de poisson - Plancton - Phosphorescence comestible - Relations avec les baleines - Fourmis et bernacles - Favoris de l'espèce nageante - Dorades - Capture de requins - Le "Kon Tiki " devient un monstre marin - Pilotes et rémoras - Pieuvres volantes - Visiteurs inconnus - Le panier de scaphandrier - Thons et bonites - Faux récif - Secret de la dérive indienne - A mi-chemin,
    +chapitre VI : LE PACIFIQUE TRAVERSE, Une embarcation amusante - Promenade dans le Dinghi - Sans points de repère - Sur mer dans une cabine de bambou - A la longitude de l'île de Pâques - Le mystère de l'île aux statues - Etranges perruques en pierre rouge - Les "longues oreilles" - Tiki construit un pont - Noms de lieux - Nous pêchons le requin à la main - Le perroquet - Un appel radio - En naviguant d'après les étoiles - Trois lames - Une tempête - Carnage en mer, carnage à bord - Un homme tombe à la mer - Nouvelle tempête - "Kon-Tiki" se délabre - Messages de la Polynésie,
    + chapitre VII : ARRIVEE AUX ILES, Première vue de la terre - Nous évitons Puka Puka - Jour de fête - Au seuil du paradis - Les premiers indigènes - Nouvel équipage à bord du "Kon-Tiki" - Knut descend à terre - Une bataille perdue d'avance - De nouveau vers le large - Eaux dangereuses - De Takume à Raroïa - A la dérive vers le chaudron des sorcières - A la merci des vagues - Naufrage - Echoués sur un récif de corail - Une île déserte,
    + chapitre VIII : AVEC LES POLYNESIENS,  Une robinsonnade - Nous craignons une expédition de secours - Tout va bien, "Kon-Tiki" ! - Autres épaves - Iles inhabitées - Combat contre des anguilles de mer - Des indigènes nous trouvent - Revenants - Un message du chef - Le chef vient nous voir - Le "Kon-Tiki" est reconnu - Inondation - Croisière par voie de terre - Quatre sur l'île - Indigènes - Réception au village - Aïeux descendant du soleil - Fête Hula - Docteurs sur les ondes - Traitement de roi - Autre naufrage - Sauvetage à Tahiti - Rencontre sur le quai - Séjour royal - Six couronnes de fleurs

     

    L'expédition du "Kon Tiki"


     Autour du livre, Au fil de la presse...

    Lien vers le Musée Kon-Tiki : The Kon-Tiki museum


     

    Magnifique récit du norvégien Thor Heyerdhal : cet ethnologue décide, immédiatement après le deuxième conflit mondial, d'établir que les ancêtres des populations polynésiennes sont issues d'ancêtres -menés par leur chef, Tiki' ayant traversé l'océan pacifique depuis le Pérou sur des radeaux (dits 'Pae-pae') voici 1500 ans, chassés du continent sud-américain. Cette théorie est est considérée comme fantaisiste par de nombreux spécialistes. Thor Heyerdahl décide donc de prouver que sa thèse est plausible. Rassemblant un petit équipage scientifique bien choisi, puis aidé dans la confection du radeau (dont la base est constituée de tronc de Balsa) en Equateur et au Pérou et la préparation du voyage par l'armée américaine (matériel de communication, rations de survie, poste TSF...), l'aventure, passionnante, eut commencer !

    (Lu en juillet 2023, collection Papa)


    votre commentaire
  •   

    Le meilleur des mondes

    Le meilleur des mondes

    Le Meilleur des mondes [titre original : Brave New World] / Aldous Huxley ; traduit par Jules Castier, Editions Pocket, 2013 (édition originale : 1932)

    ISBN 978-2-266-22411-6

     

     

     

     

    Voici près d'un siècle, dans d'étourdissantes visions, Aldous Huxley imagine une civilisation future jusque dans ses rouages les plus surprenants : un État Mondial, parfaitement hiérarchisé, a cantonné les derniers humains « sauvages » dans des réserves. La culture in vitro des foetus a engendré le règne des « Alphas », génétiquement déterminés à être l'élite dirigeante. Les castes inférieures, elles, sont conditionnées pour se satisfaire pleinement de leur sort. Dans cette société où le bonheur est loi, famille, monogamie, sentiments sont bannis. Le meilleur des mondes est possible. Aujourd'hui, il nous paraît même familier...

    présentation de l'éditeur


     Au fil de la presse...


     

    Fascinante dystopie : le "meilleur des mondes" se révèle être une société dans laquelle les habitants (citoyens ?) sont pré-déterminés dès leur conception (artificielle) afin que chacun soit affecté à une tâche précise dans un ordonnancement très hiérarchisé. Les multiples injonctions formulées au nom de Ford, qui a remplacé Dieu dans les croyances modernes, exigent de chacun qu'il fréquente les lieux de divertissement, qu'il renouvelle fréquemment ses biens pour le bien de économie générale, qu'il ne sombre pas dans la mélancolie (des gélules de "soma" préviennent les états dépressifs)...
    Le texte fait fréquemment référence à des extraits de pièces de William Shakespeare, dont la langue et la poésie offre un contraste puissant avec le matérialisme et les technologies sinistres qui règnent en maîtres dans cette société. L'apparition d'un "sauvage" de la fiction vient renforcer l'opposition entre la civilisation "fordienne" et les "Réserves" dans lesquelles vivent des "Sauvages" et que l'on visite comme dans des safaris.

    (Lu en mai 2023, collection Jean-Loup, roman lu avec Agathe, lectures croisées)

     

    votre commentaire
  •   

    La plus secrète mémoire des hommes

    La plus secrète mémoire des hommes

    La plus secrète mémoire des hommes : roman / Mohamed Mbougar Sarr, Paris :Editions Alain Rey, Dakar, Jimsaan 2021

    ISBN 978-2-84876-886-1

     

     

     

     

    En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ?

    Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda…

    D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.

    présentation de l'éditeur


     Au fil de la presse...

    Mohamed Mbougar Sarr a-t-il vraiment gagné le Goncourt ?

    La malédiction du Goncourt va-t-elle s’abattre sur lui comme elle s’est abattue en 1921 sur René Maran, premier Goncourt noir de l’histoire ? Le tollé, avait eu raison de Maran qui démissionna de son poste d’administrateur colonial alors que son roman n’avait même pas eu l’audace de condamner le colonialisme, seulement ses excès. Le personnage, que Fanon avait qualifié de « frileux » n’était certes pas un foudre de guerre, mais il avait posé une pierre. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Mohamed Mbougar Sarr, lui, n’est pas « frileux ». Qu’on en juge :

    « Universels ! Ah, l’universalité…Une illusion tendue par ceux qui la brandissent comme une médaille. Ils la mettent autour du cou de qui ils veulent. S’ils la mettent autour du vôtre, c’est pour vous prendre. (…)Brûlez les médailles. Et les mains qui les tiennent. Arrachez les derniers lambeaux de l’ère coloniale et n’attendez rien ! Au feu toutes ces vieilleries ! A la braise, à la cendre, à la mort ! »

    Il ne mâche pas ses mots pour dire ce que Maran n’avait pu dire. Il dit tout, sans fausse pudeur et sans détour. Il dit tout et il le dit avec talent. Tout du malaise de l’écrivain noir balloté entre la reconnaissance des siens et la mainmise des Blancs :

    « Nous avions ensuite longuement commenté les ambiguïtés parfois confortables, souvent humiliantes, de notre situation d’écrivains africains dans le champ littéraire français. Un peu injustement, et parce qu’ils étaient des cibles évidentes et faciles, nous accablions alors nos aînés, les auteurs africains des générations précédentes : (…) nous les accusions de s’être laissé enfermer dans le regard des autres, regard-guêpier, regard-filet, regard-marécage, regard-guet-apens … ». Il dit vraiment tout, même les reproches que ses frères lui font : « Voilà pourquoi tu ne seras jamais reconnu ici : tu nous snobes. Les Blancs peuvent te célébrer autant qu’ils veulent, te donner tous les prix qu’ils veulent, parler de toi dans leurs grands journaux, mais ici t’es rien. Nada. Et quand t’es rien chez toi, t’es rien nulle part. T’es un aliéné, un Nègre de Maison ».

    Difficile de penser que le lauréat du prestigieux prix littéraire ne serait qu’un simple faire-valoir francophone des cercles parisiens en mal de diversité. Pourquoi cette élite se complairait-elle à saluer une plume qui les humilie et les déshabille ? Aurait-elle enfin abdiqué de sa morgue hautaine pour s’incliner, défaite devant un chef d’œuvre ? Nous sommes tentés de le croire. L’écrivain a du talent et le snobisme germanopratin semble avoir été pris par surprise. Le génie l’aurait alors emporté ? On pourrait se satisfaire de cette interprétation qui nous parait plausible mais la petite voix nous dit que ce n’est pas tout. Ça ne peut pas être tout. Impossible.

    Commençons par ce qui semble une évidence. Pourquoi celui qui écrit : « L’adoubement du milieu littéraire français. C’est notre honte, mais c’est aussi notre gloire fantasmée, notre servitude et l’illusion empoisonnée de notre élévation symbolique » trahit-t-il ses personnages (dont on comprend qu’il sont ses doubles) avec autant de désinvolture en acceptant le Goncourt avec une fierté presque gênante ? Il aurait pu faire le choix de leur donner vie, prolonger le geste de l’œuvre, pour que la fiction déborde et vienne submerger le réel. Une critique juste et intransigeante pourrait légitimement lui faire ce reproche. Mais elle serait idéaliste et raterait l’essentiel. A y regarder de plus près, il se pourrait que derrière le sacre de Mohamed Mbougar Sarr se soit jouée une partie plus tortueuse qu’il n’y paraît.

    Et si nous faisions l’hypothèse que ce prix n’est que le pendant culturel et médiatique d’un événement politique d’importance : le sommet Afrique-France de Montpellier où se sont cristallisés de nouveaux rapports de forces entre la puissance coloniale déclinante et une Afrique plus rebelle et moins dépendante ? En effet, les deux évènements semblent se faire écho dans une espèce de symétrie troublante. Ils disent un moment de la France dans son rapport à ses dépendances coloniales. Souvenons-nous des paroles de Boubacar Boris Diop : « La France n’a plus l’envergure d’un Etat en mesure de soutenir un tête-à-tête avec tout un continent, aussi malheureux soit-il[1]. » Si Macron s’agite, s’il copine avec Achille Mbembe, s’il s’ouvre à une certaine critique de la Françafrique, c’est que celle-ci prend l’eau. Cependant, quoi qu’il arrive aucun président français digne de ce nom ne prendra le risque de tuer la poule aux œufs d’or.  A la dernière grand’messe de Montpellier, c’est encore Macron qui a pris le dessus mais non sans difficulté face à une Afrique de plus en plus infidèle.

    Relisons le Goncourt à la lumière de ce timide rééquilibrage.

    D’abord, il fallait privilégier les symboles. Macron avait tenu à honorer la jeunesse africaine lors du sommet de Montpellier. C’est aussi un jeune sénégalais de trente ans que le Goncourt décide de récompenser. Ensuite, Macron exigeait de cette jeunesse une parole de vérité. « On ne me met pas assez la pression ! Mettez-moi la pression ! » a-t-il ordonné à Achille Mbembe. La plume de Mohamed Mbougar Sarr n’est-elle pas trempée dans l’acide ? N’a-t-il pas fait « pression » sur le milieu littéraire ? Enfin, il faut agir. Macron a validé la proposition de Mbembe d’une « Maison Maryse Condé des mondes africains et des diasporas » à Paris. Le jury du Goncourt a célébré le sacre d’un authentique écrivain. Décerner des prix de complaisance à des indigènes médiocres devenait en effet embarrassant et ça commençait à se voir.

    Mais la partie se joue à deux. Et qui dit rééquilibrage des forces, ne dit pas équivalence des forces. Loin s’en faut. En l’état actuel des choses, ni les peuples d’Afrique dans un contexte international, ni Mohamed Mbougar Sarr dans le contexte feutré des salons parisiens ne peuvent prétendre imposer leur regard. C’est pourquoi les personnages fantasmés du livre n’ont pas pu prendre le dessus. C’est pourquoi Mohamed n’a pas pu les incarner et c’est pourquoi il a servi aux membres du jury un discours lénifiant sur l’importance de la francophonie et sur ces écrivains africains francophones en mal de reconnaissance. Celui dont le personnage criait : « Brûlez les médailles. Et les mains qui les tiennent », remercie obséquieusement ceux qui le font entrer dans la légende. Pascal Bruckner, membre du jury et auteur des « sanglots de l’homme blanc », brûlot de la littérature anti-tiers-mondiste, est en pamoison. Ils ont trouvé un héros d’une envergure impressionnante qui pourrait les écraser par son simple talent mais il n’en fait rien. Ils viennent de dompter un lion avec une facilité déconcertante. C’est ce qu’on peut appeler une belle prise.

    Fin de partie ?

    Peut-être pas. Derrière la façade du discours, il est un sous-texte. La francophonie n’appartient plus à la France mais à ses millions d’Africains qui transforment la langue, la réinventent, la triturent. La France est une province. C’est en dehors de ses frontières que la langue se réinvente. Mohamed Mbougar Sarr confirme l’intuition de Kateb Yacine : Le français ne serait-il pas un butin de guerre ? Finalement, ce roman qui dit tout haut ce que Mohamed pense tout bas, n’est-il pas un braquage en règle, le geste d’un romancier qui évalue finement les rapports de forces et saisit toutes les règles du jeu littéraire, sans tout à fait s’y soumettre ? Quelqu’un qui a su manipuler la mauvaise conscience blanche en sa faveur ? Peut-être que l’originalité de la situation c’est que les raisons politiques qui ont poussé le jury à le choisir sont dans l’œuvre elle-même ? Il écrit un livre qui dit en substance « vous êtes des salauds » mais il le fait avec un talent d’écriture qui écrase largement le petit monde littéraire parisien. Ce faisant, il les oblige à le consacrer car c’était le seul moyen pour eux de sauver ce qu’il leur a révélé d’eux-mêmes. C’était le seul moyen de reprendre le dessus sur une œuvre faite pour les humilier. Résultat : ils reprennent le dessus (tout comme Macron) mais l’œuvre reste un affront (tout comme les infidélités croissantes de nombre de dirigeants africains).

    On pourrait se lamenter et regretter que Mohamed Mbougar Sarr ne soit pas vraiment le Mohamed Ali dont nous rêvons. Mais ce serait oublier que ce dernier était un être collectif et qu’il était porté par l’effervescence des luttes noires. Dans le désert politique indigène français, qui aurait sauvé Mohamed Mbougar Sarr des hyènes qui l’auraient déchiqueté ou condamné à la déshérence s’il avait fait le choix héroïque de la rupture ? N’est pas Sartre – qui avait le privilège du prestige et de la blanchité – qui veut. Quel est le prix littéraire en Afrique qui aurait pu rivaliser avec le Goncourt et sublimer le geste rebelle ? Qui en indigénat aurait eu le pouvoir de faire du jeune prodige, un écrivain ?

    Mohamed Mbougar Sarr ne le sait que trop bien : « Voilà notre triste réalité : le contenu misérable de notre rêve misérable, la reconnaissance du centre – la seule qui comptât ».

    Pour l’instant. Parce que si vous observez bien, à la cérémonie de remise du prix, il y a avait des applaudissements mais aussi beaucoup de sourires crispés.
    Houria Bouteldja (qgdecolonial.fr)


     

    Je ne suis pas forcément du genre à me précipiter pour lire le Prix Goncourt, mais « La Plus Secrète Mémoire des Hommes », quatrième roman de l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, était précédé d’une rumeur tellement positive que je n’ai pas pu résister.

    En 2008, un lycéen sénégalais, Diégane Latyr Faye, entend parler dans son manuel de littérature d’un livre qui avait défrayé la chronique en 1938 : « Le Labyrinthe de l’Inhumain ». Son auteur, TC Elimane, écrivain lui aussi sénégalais, avait reçu d’excellentes critiques, bien que certains journalistes aient été décontenancés par le fait qu’il soit africain… mais après des rumeurs de plagiat,  l’auteur avait brusquement disparu. Dix ans plus tard, Diégane, devenu entre temps écrivain, met enfin la main sur un exemplaire de ce livre mythique grâce à sa rencontre avec la grande autrice Siga D, l’une de ses compatriotes. Fasciné par ce qu’il lit, il décide alors de retrouver la trace du mystérieux TC Elimane.

    J’ai eu très peur en commençant ce roman, j’ai cru que l’auteur voulait caser le maximum de mots possibles issus du « Dictionnaires des Mots Rares et Précieux ». Je n’ai rien contre un vocabulaire soutenu mais cela n’a pas fonctionné pour moi au début, cela donnait un côté artificiel et j’ai eu très peur de devoir lire un roman sur-écrit et boursouflé. Il a bien fallu une centaine de pages pour que l’intrigue se mette en place et pour que j’accroche à ce que proposait l’auteur. Et tout d’un coup, ça s’est débloqué, et je me suis mise à dévorer le roman ! 

    J’adore les romans foisonnants et j’ai été servie avec cette grande fresque qui se déroule sur plus d’un siècle, aux multiples narrateurs, qui mêle saga familiale, enquête obsédante et atmosphère mystérieuse, frôlant parfois avec le fantastique. J’aime quand un récit prend des chemins détournés, navigue entre les pays, les points de vue et les époques – au risque d’ailleurs de perdre son lecteur – et que finalement, les différentes pièces du puzzle se mettent en place, et j’ai été servie avec « La Plus Secrète Mémoire des Hommes ».

    Mon plaisir de lecture a parfois été tempéré par des bémols : en sus des débuts difficiles, j’ai eu quelques moments d’essoufflement, où j’avais l’impression que le récit tournait en rond. J’ai également trouvé que ce roman dense était un peu trop riche, que l’auteur voulait parfois parler de trop de choses, et s’éparpillait un peu: au colonialisme, aux conflits d’identité, au pouvoir de la littérature, qui sont finement traités, fallait-il vraiment ajouter la Shoah, et entraîner cette histoire jusqu’en Amérique du Sud?

    Pour autant, même s’il n’est pas exempt de défauts, c’est un livre beau et ambitieux, au suspense savamment dosé, et qui a quelque chose de fascinant, de magnétique! Je ne connaissais pas du tout l’auteur mais j’aimerais à présent découvrir le reste de son œuvre. 
    Eva (blog  tuvastabimerlesyeux.fr)


     

    Je viens de terminer le livre lauréat du prix Goncourt de cette année, La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr. (C’est toujours étrange de dire qu’on a terminé un livre, mais j’éviterai ici les péroraisons faciles sur la puissance de la littérature et la durée de l’œuvre, qui, si elle a su toucher notre âme, demeure près de nous telle une amie intime, et poursuit à travers le temps son travail en nous aidant à façonner notre perception et notre expérience du monde. Je l’éviterai d’autant plus que le livre en question est de ceux qui mettent suffisamment en abyme la littérature elle-même pour qu’une critique d’un tel livre ne puisse se le permettre.)

    Je l’ai terminé, quoi qu’il en soit, avec un sentiment d’inconfort, qui m’a accompagnée d’ailleurs tout au long de la lecture. C’était un livre, il faut le préciser car on vient rarement vierge aux livres (surtout ceux qui ont remporté des prix prestigieux), que je m’attendais à adorer. Un livre qui parle de littérature, de voyage, de quête de sens et de beauté, d’histoires entrelacées avec en fond la Grande Histoire, de parcours intimes. Un livre, qui plus est, que je me sentais d’autant plus disposée à aimer sans réserve que la reconnaissance d’un auteur africain par l’académie Goncourt me semblait, pour ainsi dire, un fait politique important et salutaire. De même, sa coédition par une maison française et une maison sénégalaise, avec le vague espoir que quelques bénéfices matériels, pour une fois, « ruissellent » des grands restaurants du Paris littéraire vers le pays qui a donné naissance à l’œuvre, et en constitue l’un des sujets centraux. Je prévoyais donc d’être bouleversée, impressionnée, émerveillée. Et pourtant : j’ai été dérangée. Dès le début du roman, quelque chose m’a gênée ; et à la fin du roman, quelque chose d’autre est apparu, qui a ajouté à ma gêne. 

    Soyons claire : j’ai aimé le roman. Je l’ai lu avidement, avec curiosité et plaisir, et surtout – ce qui est pour moi la marque de la « réussite » littéraire, si ce mot a un quelconque sens – traversée d’éclairs d’émerveillement devant certaines phrases, certaines pages. Beauté plastique de la phrase et résonance intime de son sens, et parfois la fulgurance d’une révélation, d’une formulation qui éclaire un élément du monde jusqu’alors voilé : voilà pour moi ce qui compte dans un livre – à quoi s’ajoute évidemment (c’est une évidence trop souvent survolée) le plaisir du récit. De ces deux points de vue, La plus secrète mémoire des hommes est sans conteste un roman réussi. Pourquoi, alors, n’ai-je pas été en mesure de l’apprécier sans arrière-pensée ?

    Commençons par ce qui m’est le plus familier. La plus secrète mémoire des hommes, cela a été souligné, est un roman cérébral, réflexif, comme en témoigne la forme du monologue intérieur, du récit à la première personne (récit et monologue se mêlant de façon à ce que l’on ne soit plus certaine de quelle histoire compte véritablement : celle du narrateur, Diégane Faye, qui cherche sa vocation littéraire à travers un livre mythique et s’engage sous ce couvert dans une quête à la fois des origines et de son présent, ou celle du protagoniste principal, Elimane Madag, dont le génie mystérieux et la souffrance béante forment le cœur affirmé du roman). Comme d’autres avant lui, l’auteur met à profit les complexités de structure et les ressources typographiques de l’objet-livre pour tisser une toile polyphonique, nous proposant une plongée dans une histoire aux épisodes et aux narrateurs multiples. À ce titre il m’a rappelé Boussole, de Mathias Énard, autre lauréat du Goncourt il y a de cela six ans. Comme dans Boussole, un narrateur masculin s’interroge sur le sens de sa vie ; à travers son regard un monde surgit. Et pourtant, jusqu’à quel point le sort de ce narrateur nous préoccupe-t-il, au fond ? 

    Pour sa dimension cérébrale, réflexive et inquiète, c’est un roman qui me ressemble – qui ressemble, peut-être, à une génération. « Nous n’avons plus le droit à l’insouciance », m’a dit un jour ma mère – je ne prétends pas connaître suffisamment mes congénères pour l’affirmer, mais à titre personnel il est certain que Diégane Faye aborde la vie d’une manière relativement similaire à la mienne : avec des ambitions endiguées par l’inquiétude et l’incertitude de parvenir à agir, avec le désir de comprendre et de transformer, mais l’ignorance de la manière de faire, avec la mauvaise conscience de celui qui se préoccupe d’art et de soi-même dans un monde qui brûle, et le doute persistant de sa propre parole, l’incapacité à découvrir ce qu’il a vraiment à exprimer – doute qui finalement dure trop longtemps pour que ce qui avait à être dit puisse l’avoir été quand il l'aurait fallu. Bref – c’est un roman qui parle souvent comme je pourrais avoir tendance à le faire. Je le répète, il le fait très bien. Des éclairs d’émerveillement, j’en ai eu énormément dans ce livre, qui est aussi souvent drôle, et dont beaucoup de passages touchent très juste (ainsi, par exemple, de l'écriture-sentinelle ; des fantômes que nous hantons, plutôt qu'ils ne nous hantent ; de l’imagination des aveugles ; ou encore de la vraie perte du passé, qui est celle de l’avenir).

    Pour aimer un livre pleinement, sans retenue, cependant, il faut pouvoir se laisser emporter. Et quelque chose m’en a empêchée tout au long du roman : le regard posé sur les femmes.

    J’ai lu des critiques qui célèbrent la « sensualité » du livre. Soyons plus précise : par « sensualité », ce qui est entendu, ce sont des descriptions de corps féminins, de désirs masculins, et de performances sexuelles répondant en tout point aux normes de la sexualité dominante. L’introduction des trois principaux personnages féminins rencontrés par le narrateur est presque immédiatement suivie d’une précision quant à la nature de leur relation sexuelle. Ainsi à la page 64 :

    « Il y avait ces deux-là, donc, mais il y avait surtout Béatrice Nanga. Musimbwa et moi pensions qu’elle avait, d’entre nous tous, l’univers littéraire le plus singulier. Je m’empresse de préciser qu’aucun de nous n’avait couché avec elle, du moins à ma connaissance, bien qu’il soit apparu lors de nos discussions que nous n’attendions que de le pouvoir… »

    Béatrice Nanga avait déjà fait une très brève apparition page 17, dans les termes suivants :

    « Au milieu des débats, Béatrice, la sensuelle et énergique Béatrice Nanga dont j’espérais qu’elle m’asphyxie un jour entre ses seins… »

    À Marème Siga D., « l’Araignée-Mère », personnage clé du livre introduit page 26, Diégane fait l’honneur de parler un peu de son œuvre avant d’en arriver, au troisième paragraphe, à l’élément déclencheur de leur véritable rencontre, puisque c’est cette vision qui le pousse à venir l’aborder : « Siga D. agita le bras pour relever la manche de son grand-boubou. Par le bâillement de l’habit alors, quelques secondes, j’entraperçus ses seins. Ils se profilaient comme au bout d’un tunnel ou d’un couloir d’attente, le couloir d’attente du désir… »

    Cette écrivaine puissante et flamboyante, « ange noir de la littérature sénégalaise, sans qui cette dernière serait un mortel cloaque d’ennui », Diégane s’adresse à elle avec une érection et une demande : téter ses seins. Siga D., évidemment, se moque de lui, tout comme Aïda, la véritable cible des velléités amoureuses du narrateur, qui a toujours vis-à-vis de lui un ton légèrement suffisant. (Il est surprenant, d’ailleurs, qu’une relation aussi intense que celle que l’auteur prête à Diégane et Aïda repose, du point de vue de son existence littéraire, aussi abondamment sur des descriptions de leur amour physique ; comme si, passé le temps des premiers dîners et du rendez-vous au concert, plus rien d’autre n’existait.) Elles ont beau ironiser et le prendre à la légère, les trois figures féminines, Aïda, Siga D. et Béatrice, répondent au désir de Diégane. Béatrice Nanga est même blessée de son refus de coucher avec elle, puisque, comme nous l’apprend la page 75, « les femmes pardonnent parfois à celui qui brusque l’occasion, jamais à celui qui la manque ». La désastreuse implication de ce conseil m’oblige à formuler explicitement ce message à l’intention de toutes les personnes, et en particulier les hommes, qui liraient ces lignes : « brusquer l’occasion » n’est jamais ni souhaitable, ni légitime ; les occasions, à l’inverse, se vérifient et peuvent aussi se retrouver ; croyez-en, je vous prie, quelqu’un qui a connu son lot de brusqueries.   

    Qu’on ne se méprenne pas : il n’y a bien évidemment aucun mal à parler de sexe, à en proposer des descriptions éblouissantes, à lui reconnaître, dans un récit, une place similaire à celle qu’il peut parfois occuper dans une vie réelle, c’est-à-dire : importante, voire centrale. Mais comme je l’ai dit, pour un livre sensuelLa plus secrète mémoire des hommes est sur ce point assez peu imaginatif. Personnellement, je le dis sans ambages : je n’ai pas grand-chose à me mettre sous la dent. La poétesse haïtienne raconte sa nuit d’amour avec Elimane, un homme, mais pas sa relation érotique avec Siga D. Jamais le regard d’une femme n’est posé de cette façon-là sur le corps d’un homme – ni, d’ailleurs, celui d’un homme, qui pour aisément qu’il porte son regard sur la poitrine des femmes qui l’entourent, semble remarquablement peu enclin à l’exploration de son propre corps. Ce qui est souligné, notamment chez l’homme qui est au centre de toutes les attentions, c’est comme toujours la stature, la qualité de présence, le mystère, le génie, la profondeur et la complexité de son être ; chez les femmes ce sont leurs seins, la taille de leur corps, l’élégance de leurs tenues, le grain de leur peau, et leur disponibilité ou non aux désirs qui leur sont implicitement ou explicitement communiqués. On pourra me répondre que c’est normal, c’est presque inévitable, quelque part entre le hasard et la fatalité, puisque seul le regard du narrateur nous est transmis, et que ce narrateur se trouve être un homme. Mais quid alors du récit de Siga D. ? De celui de la poétesse haïtienne ? Quid de leurs désirs à elles, où se cachent-ils, dans la pudeur de leurs récits ? 

    Dans l’un des autres livres remarqués de cette rentrée littéraire, Deborah Levy pose la question suivante : « comment un écrivain pouvait-il se lancer dans la tâche immense qui consiste à ne donner aucune conscience ni même de vie inconsciente à un personnage féminin comme si c’était la chose la plus naturelle au monde ? ». Mohamed Mbougar Sarr, c’est évident, cherche à donner de l’épaisseur à ses personnages féminins. Chacune des trois est présentée comme extrêmement talentueuse ; bien davantage, on le devine, que les hommes qui les entourent. Et pourtant, immédiatement, rien ne semble avoir d’importance que leur corps, sexualisé par le regard d’un homme. C’est presque comme si l’effort consenti pour leur reconnaître une existence propre n’était qu’un préambule poli avant d’atteindre à ce qui leur donne leur véritable épaisseur, leur signification profonde et leur raison d’être : le rôle qu’elles jouent dans la vie d’un homme, rôle pour lequel leur incarnation dans un corps érotiquement qualifié revêt une importance de premier plan.

    Il y aurait beaucoup à dire sur les figures féminines du livre de Mohamed Mbougar Sarr, leur affiliation à l’image maternelle, leur liberté et l’insécurité qu’elle provoque chez le narrateur, leur ton à la fois agacé et compatissant à l’égard de ce jeune homme qui décidément s’égare, tandis qu’elles sont entières, libres, indépendantes. Et pourtant, toutes à leur manière l’accueillent, le soutiennent, s’investissent en lui, s’occupent de lui. S’occupe-t-il d’elles ? Même d’Aïda, que pourtant il professe aimer exclusivement, entièrement ? N’est-il pas remarquable que même égaré, même travaillé par le doute, même disponible au point de se lancer dans une quête mystique de la littérature, cet homme n’ait que si peu de son être à donner à des femmes qui, elles à la tête d’une vie remplie de projets puissants et importants, lui portent pourtant une attention sincère, parviennent à trouver pour lui du temps, de l’énergie, et de quoi rassurer sa croyance en ses propres performances sexuelles (un sujet qui l’inquiète beaucoup, comme en témoignent notamment ses hésitations lors de sa première nuit auprès de Siga D.) ? Diégane le dit, lorsqu’il raconte sa relation avec Aïda : « Ce soir-là, je m’étais prosterné dans la lumière et j’avais prêté serment. (…) Je le fis seul. » C’est là, je crois, ce qui me dérange le plus profondément : tout ce qu’il vit avec ces femmes, il le fait seul ; à nul instant on ne sent une communion, un partage, et lorsque, prosaïquement, le souci du plaisir de l’autre apparaît, c’est dans un souci de performance – explicite, avec Siga D. – qui encore une fois nous ramène à ce que Diégane fait pour lui-même, avec lui-même. Dans un tel paysage, il n’y a de place pour aucune d’elles.

    Peut-être, dira-t-on, n’y a-t-il tout simplement de place pour personne. Diégane est si obnubilé par sa quête qu’aucun autre personnage – et d’ailleurs, en vérité, à peine lui-même – n’a beaucoup d’épaisseur. Et pourtant, il y a des personnages qui en ont davantage. Ousseynou Koumakh et Musimbwa, par exemple. Ce qui m’amène au second grief que j’ai contre ce livre, celui qui est apparu à la fin : ce récit abominable de Musimbwa, témoignage de notre facile fascination pour l’horreur. Je ne m’attendais pas, je dois l’avouer, à un tel texte à ce moment du livre, et je l’ai lu à reculons, la gorge serrée. Il est par ailleurs bien écrit, et très réussi du point de vue de ce qu’il cherchait sans aucun doute à accomplir : horrifier. Quelle conclusion en tirer ? A-t-il pour but de pousser plus loin le personnage de Musimbwa, qui pourtant est bien secondaire ? De mettre en relief le choix de Diégane, retourner en France, là où Musimbwa choisit de rentrer au pays ? Y avait-il besoin d’un tel épisode, pour le justifier ?

    J’y lis un autre message : qu’au cœur de la littérature, il y a la souffrance. Et pas n’importe laquelle : une souffrance inexpiable, indicible. C’est l’indicible peut-être qui crée le besoin si fort de parler et d’écrire. En refermant le livre, je me suis demandé si la littérature est condamnée à la souffrance ; s’il est vraiment impossible d’écrire quelque chose qui ne soit que beau. Et ce que cela dit de notre monde.

    J’ai omis de parler de Mossane, autre personnage féminin important du livre, dont le destin, malgré sa force à elle, est scellé par les rivalités et les choix égoïstes des hommes qui l’entourent – deux amants et un fils. Nue de corps et privée d’esprit, sous son manguier à l’orée du cimetière, Mossane devient le pur réceptacle et l’incarnation d’une souffrance irréparable. Un rôle que jouent souvent les femmes, surtout les mères – ainsi celle de Musimbwa : « Elle a souffert sous mes doigts comme rarement j’ai vu quelqu’un endurer la souffrance », dit à son fils son tortionnaire et son assassin. En cela encore, le livre, c’est indubitable, est réaliste. Qui dira la quantité de souffrance infligée par les hommes aux femmes en ce monde ?

    La torture de cette femme qui se sacrifie pour son enfant – qui sacrifie plus encore que le sacrifice ultime, puisque seul le fol et vain espoir de pouvoir le retrouver, on le suppose, la retient d’accepter de ses assassins l’offre d’une mort rapide et sans douleur – et son récit insoutenable nous est justifié, dans l’ordre du roman, par le rôle fondateur qu’elle joue dans la destinée de son fils, dont elle est l’explication et l’origine, la source de son talent littéraire et l’essence de ce qu’il a à dire. Trop souvent la souffrance féminine est comme rédimée par ce qu’en font les hommes. Trop souvent la souffrance, tout court, est présentée comme principe originel de toute beauté et de toute création.

    Je précise, c'est indispensable, que les deux critiques que je formule ici ne s'appliquent en aucun cas uniquement à ce livre - c'est de lui, simplement, que je parle aujourd'hui. Qu’on s’entende : La plus secrète mémoire des hommes est un beau roman, dont je salue l’auteur, qui a sans aucun doute de grandes qualités littéraires et qui contient des fulgurances qui m’ont intriguée et émue. Mais quant à ce qu’il a à dire de la littérature, je pense, j’exige même, que nous changions de paradigme. Malgré l’ambition affichée et incontestable de l’œuvre, j’ai eu à sa lecture un sentiment de facilités, au pluriel. La fascination pour l’horreur, pour le mystère qui ne cache qu’une souffrance déchirante (et, me semble-t-il, inutile), pour la violence ; la sexualisation du corps des femmes à travers le regard d’un homme qui ne cherche pas à les regarder pour elles-mêmes ; autant de facilités qui portent atteinte à ce qu’aurait pu être ce livre. Et qui me gâchent mon plaisir.
    antinaé (blogs.mediapart.fr)

     

    Roman axé sur le processus d'écriture qui anime les auteurs, et en particulier les écrivains africains francophones.  Comment leurs racines irriguent-elles l'imagination, la nostalgie est-elle plus féconde que les projections dans l'avenir ? Comment ne pas tomber dans l'exotisme aux relents colonialistes ? Autant de questions qui nourrissent le récit.

    (Lu en mars 2023, collection Médiathèque Françoise Giroud, Labarthe-sur-Lèze)

     

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique