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    Josep
    Josep

    Film d'a nimation, romantique (France), 6 épisodes de 71 min, 2021, 

    Réalisateur :  Aurel

    Scénariste, dialogues et adaptation :Jean-Louis Milesi

    Producteur : Serge Lalou, Les films d'ici Méditerranée, 

    Co-producteur : Jordi B. Oliva – Imagic Telecom & France 3 Cinéma,

    Producteur exécutif : Catherine Estèves – Les Films du Poisson Rouge,

    Studios d’animation coproducteurs : Les Films du Poisson Rouge – Lunanime – Promenons-nous dans les bois – Tchack – In Efecto – Les Fées Spéciales,
    Producteurs associés : Guilhem Pratz, Juan-Carlos Concha Riveros, Johan de Faria et Sébastien Deurdilly (Upside Films) et Les Films d’Ici,
    Partenaires institutionnels : La Région Occitanie, Le Mémorial du Camp de Rivesaltes, La Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de la Charente, La Région Grand-Est, Le Centre National du Cinéma et de l’Image animée, la PROCIREP et l’ANGOA, La SACEM, la SOFICA Palatine Étoile 16, le Tax Shelter du gouvernement fédéral belge, Belga Production et Luminvest,
    En partenariat avec : La Revue Dessinée,

    Distribution France : Sophie Dulac Distribution,
    Vente à l’international : The Party Film Sales
    Diffuseurs : France Télévisions – TV5MONDE,
    Avec le soutien de TV3 Catalunya,

    Avec... Sergi López, Bruno Solo, David Marsais, Gérard Hernandez, Valérie Lemercier, Thomas Vdb, Sílvia Pérez Cruz, François Morel, Alain Cauchi, Sophia Aram

     

    Synopsis 

    En février 1939, après la prise de Barcelone par les phalangistes franquistes, près de 500 000 républicains espagnols franchirent les Pyrénées pour se réfugier en France où ils furent parqués dans des camps. Maltraités, ces réfugiés tentent de survivrent dans des conditions très difficiles. Parmi eux, il ya Josep Bartoli, un dessinateur et militant. Josep dessine tout ce qu'il voit, partout où il le peut, sur la terre, sur les murs, et il attire ainsi l'attention de Serge, un gentil gendarme qui va bientôt l'aider. Serge, qui vit ses derniers instants, raconte cette histoire à son petit-fils adolescent Valentin qui avait remarqué un dessin de Josep sur le mur...

    Dans la presse et au fil des blogs...

    “Josep” : le formidable premier film d’Aurel, récompensé aux César 2021

    Le récit de l’amitié entre un gendarme français et l’artiste Josep Bartoli, qui a fui l’Espagne franquiste. Et l’expressivité bouleversante du dessin d’Aurel.


    Un adolescent plutôt doué en dessin râle et soupire à l’idée de garder, tout un après-midi, son grand-père malade et alité dans un vieil appartement plein de souvenirs. Mais, entre deux somnolences, « grand-père Serge » se met à raconter à son petit-fils une histoire folle, pleine de rebondissements. Celle de sa rencontre, à la fois douloureuse et lumineuse, avec un dessinateur, dans un contexte qui, quatre-vingts ans plus tard, continue à lui faire honte. Février 1939 : Barcelone est tombée, Franco a gagné, et cinq cent mille réfugiés fuient la dictature dans le dénuement le plus complet pour trouver refuge dans une France qui les juge indésirables. Bon nombre de ces républicains espagnols, anarchistes ou communistes, sont parqués par le gouvernement français dans des camps de concentration, en proie à la faim, la maladie, la xénophobie et la violence galonnée. Dans un de ces camps, Serge, jeune gendarme, se lie d’amitié, au-delà des barbelés, avec Josep Bartoli (1910-1995), combattant antifranquiste et dessinateur.

     
    Josep n’est pas un film d’animation, mais un grand film dessiné. Pour son premier long métrage, Aurel, lui-même dessinateur pour Le Monde et Le Canard enchaîné, célèbre la force, incoercible, du dessin politique — et dédie d’ailleurs Josep à Tignous, assassiné lors de l’attentat de Charlie Hebdo. Aidé de son scénariste Jean-Louis ­Milesi (compagnon de route de Robert Guédiguian), Aurel fait revivre une ­période occultée de l’Histoire (la Retirada) et rend hommage à Bartoli, grand peintre travaillant sur la mémoire. Le résultat ne cesse d’étonner et de bouleverser, grâce à sa narration puissante et à son esthétique composite. Le récit du gendarme Serge et de ses efforts pour aider son ami et ne plus collaborer à cet enfer fusionne ainsi avec les traits sombres, rageurs et virtuoses, de Josep, témoignant, jour et nuit, sur papier, du quotidien du camp. Le talent de caricaturiste d’Aurel s’impose, dans la trogne de porc d’un ignoble gardien ou la douceur d’un tirailleur sénégalais philosophe qui obéit aux ordres en attendant l’heure de la vengeance. Soudain, au noir tragique des corps décharnés des prisonniers succèdent le pastel, l’orange flamboyant et le bleu maya d’un ciel où Frida Kahlo, future maîtresse de Bartoli, fait figure d’apparition pleine de vitalité.

    Car le film vibre aussi du feu, quasi sensuel, de la résistance, comme lors de ces séquences de réunions clandestines, où les hommes et les femmes du camp chantent, dansent, et inventent un jeu de loterie pour trouver un partenaire d’un soir. Josep, lui, se contente de caresser le portrait qu’il a fait de son aimée, perdue pendant l’exode. Et voilà la belle de papier qui ferme les yeux sous sa caresse… « Et alors ? », demande sans cesse le petit-fils de Serge, happé par cette histoire où un homme apprend le courage pour en sauver un autre. Alors, l’humanisme est une aventure inoubliable, qui mène, par exemple, jusqu’au Mexique. De ce Josep recommandé à tous les publics, beaucoup d’images resteront gravées, mais on en retient une en particulier : deux amis à la vie à la mort repeignant, en compagnie de Frida Kahlo, la façade d’une hacienda avec des couleurs éclatantes. Insolentes comme l’espoir.

    Par Guillemette Odicino (Télérama)

     

    Film d'animation atypique dans sa forme et bouleversant : un ancien gendarme évoque auprès de son petit-fils adolescent l'arrivée de réfugiés espagnols près de Perpignan (Retirada). Cet homme, alors jeune gendarme, devait surveiller un camp sur la plage, dans lequel survivaient des familles entières confrontées au plus grand dénuement : faim, froid, désœuvrement. Confronté impuissant à la bêtise de deux collègues qui humiliaient les détenus, il sympathisa discrètement avec un certain Josep, auquel il rend hommage dans son récit. Vu en mai 2023 (France 4)

     

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    Le meilleur des mondes

    Le meilleur des mondes

    Le Meilleur des mondes [titre original : Brave New World] / Aldous Huxley ; traduit par Jules Castier, Editions Pocket, 2013 (édition originale : 1932)

    ISBN 978-2-266-22411-6

     

     

     

     

    Voici près d'un siècle, dans d'étourdissantes visions, Aldous Huxley imagine une civilisation future jusque dans ses rouages les plus surprenants : un État Mondial, parfaitement hiérarchisé, a cantonné les derniers humains « sauvages » dans des réserves. La culture in vitro des foetus a engendré le règne des « Alphas », génétiquement déterminés à être l'élite dirigeante. Les castes inférieures, elles, sont conditionnées pour se satisfaire pleinement de leur sort. Dans cette société où le bonheur est loi, famille, monogamie, sentiments sont bannis. Le meilleur des mondes est possible. Aujourd'hui, il nous paraît même familier...

    présentation de l'éditeur


     Au fil de la presse...


     

    Fascinante dystopie : le "meilleur des mondes" se révèle être une société dans laquelle les habitants (citoyens ?) sont pré-déterminés dès leur conception (artificielle) afin que chacun soit affecté à une tâche précise dans un ordonnancement très hiérarchisé. Les multiples injonctions formulées au nom de Ford, qui a remplacé Dieu dans les croyances modernes, exigent de chacun qu'il fréquente les lieux de divertissement, qu'il renouvelle fréquemment ses biens pour le bien de économie générale, qu'il ne sombre pas dans la mélancolie (des gélules de "soma" préviennent les états dépressifs)...
    Le texte fait fréquemment référence à des extraits de pièces de William Shakespeare, dont la langue et la poésie offre un contraste puissant avec le matérialisme et les technologies sinistres qui règnent en maîtres dans cette société. L'apparition d'un "sauvage" de la fiction vient renforcer l'opposition entre la civilisation "fordienne" et les "Réserves" dans lesquelles vivent des "Sauvages" et que l'on visite comme dans des safaris.

    (Lu en mai 2023, collection Jean-Loup, roman lu avec Agathe, lectures croisées)

     

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    La plus secrète mémoire des hommes

    La plus secrète mémoire des hommes

    La plus secrète mémoire des hommes : roman / Mohamed Mbougar Sarr, Paris :Editions Alain Rey, Dakar, Jimsaan 2021

    ISBN 978-2-84876-886-1

     

     

     

     

    En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ?

    Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda…

    D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.

    présentation de l'éditeur


     Au fil de la presse...

    Mohamed Mbougar Sarr a-t-il vraiment gagné le Goncourt ?

    La malédiction du Goncourt va-t-elle s’abattre sur lui comme elle s’est abattue en 1921 sur René Maran, premier Goncourt noir de l’histoire ? Le tollé, avait eu raison de Maran qui démissionna de son poste d’administrateur colonial alors que son roman n’avait même pas eu l’audace de condamner le colonialisme, seulement ses excès. Le personnage, que Fanon avait qualifié de « frileux » n’était certes pas un foudre de guerre, mais il avait posé une pierre. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Mohamed Mbougar Sarr, lui, n’est pas « frileux ». Qu’on en juge :

    « Universels ! Ah, l’universalité…Une illusion tendue par ceux qui la brandissent comme une médaille. Ils la mettent autour du cou de qui ils veulent. S’ils la mettent autour du vôtre, c’est pour vous prendre. (…)Brûlez les médailles. Et les mains qui les tiennent. Arrachez les derniers lambeaux de l’ère coloniale et n’attendez rien ! Au feu toutes ces vieilleries ! A la braise, à la cendre, à la mort ! »

    Il ne mâche pas ses mots pour dire ce que Maran n’avait pu dire. Il dit tout, sans fausse pudeur et sans détour. Il dit tout et il le dit avec talent. Tout du malaise de l’écrivain noir balloté entre la reconnaissance des siens et la mainmise des Blancs :

    « Nous avions ensuite longuement commenté les ambiguïtés parfois confortables, souvent humiliantes, de notre situation d’écrivains africains dans le champ littéraire français. Un peu injustement, et parce qu’ils étaient des cibles évidentes et faciles, nous accablions alors nos aînés, les auteurs africains des générations précédentes : (…) nous les accusions de s’être laissé enfermer dans le regard des autres, regard-guêpier, regard-filet, regard-marécage, regard-guet-apens … ». Il dit vraiment tout, même les reproches que ses frères lui font : « Voilà pourquoi tu ne seras jamais reconnu ici : tu nous snobes. Les Blancs peuvent te célébrer autant qu’ils veulent, te donner tous les prix qu’ils veulent, parler de toi dans leurs grands journaux, mais ici t’es rien. Nada. Et quand t’es rien chez toi, t’es rien nulle part. T’es un aliéné, un Nègre de Maison ».

    Difficile de penser que le lauréat du prestigieux prix littéraire ne serait qu’un simple faire-valoir francophone des cercles parisiens en mal de diversité. Pourquoi cette élite se complairait-elle à saluer une plume qui les humilie et les déshabille ? Aurait-elle enfin abdiqué de sa morgue hautaine pour s’incliner, défaite devant un chef d’œuvre ? Nous sommes tentés de le croire. L’écrivain a du talent et le snobisme germanopratin semble avoir été pris par surprise. Le génie l’aurait alors emporté ? On pourrait se satisfaire de cette interprétation qui nous parait plausible mais la petite voix nous dit que ce n’est pas tout. Ça ne peut pas être tout. Impossible.

    Commençons par ce qui semble une évidence. Pourquoi celui qui écrit : « L’adoubement du milieu littéraire français. C’est notre honte, mais c’est aussi notre gloire fantasmée, notre servitude et l’illusion empoisonnée de notre élévation symbolique » trahit-t-il ses personnages (dont on comprend qu’il sont ses doubles) avec autant de désinvolture en acceptant le Goncourt avec une fierté presque gênante ? Il aurait pu faire le choix de leur donner vie, prolonger le geste de l’œuvre, pour que la fiction déborde et vienne submerger le réel. Une critique juste et intransigeante pourrait légitimement lui faire ce reproche. Mais elle serait idéaliste et raterait l’essentiel. A y regarder de plus près, il se pourrait que derrière le sacre de Mohamed Mbougar Sarr se soit jouée une partie plus tortueuse qu’il n’y paraît.

    Et si nous faisions l’hypothèse que ce prix n’est que le pendant culturel et médiatique d’un événement politique d’importance : le sommet Afrique-France de Montpellier où se sont cristallisés de nouveaux rapports de forces entre la puissance coloniale déclinante et une Afrique plus rebelle et moins dépendante ? En effet, les deux évènements semblent se faire écho dans une espèce de symétrie troublante. Ils disent un moment de la France dans son rapport à ses dépendances coloniales. Souvenons-nous des paroles de Boubacar Boris Diop : « La France n’a plus l’envergure d’un Etat en mesure de soutenir un tête-à-tête avec tout un continent, aussi malheureux soit-il[1]. » Si Macron s’agite, s’il copine avec Achille Mbembe, s’il s’ouvre à une certaine critique de la Françafrique, c’est que celle-ci prend l’eau. Cependant, quoi qu’il arrive aucun président français digne de ce nom ne prendra le risque de tuer la poule aux œufs d’or.  A la dernière grand’messe de Montpellier, c’est encore Macron qui a pris le dessus mais non sans difficulté face à une Afrique de plus en plus infidèle.

    Relisons le Goncourt à la lumière de ce timide rééquilibrage.

    D’abord, il fallait privilégier les symboles. Macron avait tenu à honorer la jeunesse africaine lors du sommet de Montpellier. C’est aussi un jeune sénégalais de trente ans que le Goncourt décide de récompenser. Ensuite, Macron exigeait de cette jeunesse une parole de vérité. « On ne me met pas assez la pression ! Mettez-moi la pression ! » a-t-il ordonné à Achille Mbembe. La plume de Mohamed Mbougar Sarr n’est-elle pas trempée dans l’acide ? N’a-t-il pas fait « pression » sur le milieu littéraire ? Enfin, il faut agir. Macron a validé la proposition de Mbembe d’une « Maison Maryse Condé des mondes africains et des diasporas » à Paris. Le jury du Goncourt a célébré le sacre d’un authentique écrivain. Décerner des prix de complaisance à des indigènes médiocres devenait en effet embarrassant et ça commençait à se voir.

    Mais la partie se joue à deux. Et qui dit rééquilibrage des forces, ne dit pas équivalence des forces. Loin s’en faut. En l’état actuel des choses, ni les peuples d’Afrique dans un contexte international, ni Mohamed Mbougar Sarr dans le contexte feutré des salons parisiens ne peuvent prétendre imposer leur regard. C’est pourquoi les personnages fantasmés du livre n’ont pas pu prendre le dessus. C’est pourquoi Mohamed n’a pas pu les incarner et c’est pourquoi il a servi aux membres du jury un discours lénifiant sur l’importance de la francophonie et sur ces écrivains africains francophones en mal de reconnaissance. Celui dont le personnage criait : « Brûlez les médailles. Et les mains qui les tiennent », remercie obséquieusement ceux qui le font entrer dans la légende. Pascal Bruckner, membre du jury et auteur des « sanglots de l’homme blanc », brûlot de la littérature anti-tiers-mondiste, est en pamoison. Ils ont trouvé un héros d’une envergure impressionnante qui pourrait les écraser par son simple talent mais il n’en fait rien. Ils viennent de dompter un lion avec une facilité déconcertante. C’est ce qu’on peut appeler une belle prise.

    Fin de partie ?

    Peut-être pas. Derrière la façade du discours, il est un sous-texte. La francophonie n’appartient plus à la France mais à ses millions d’Africains qui transforment la langue, la réinventent, la triturent. La France est une province. C’est en dehors de ses frontières que la langue se réinvente. Mohamed Mbougar Sarr confirme l’intuition de Kateb Yacine : Le français ne serait-il pas un butin de guerre ? Finalement, ce roman qui dit tout haut ce que Mohamed pense tout bas, n’est-il pas un braquage en règle, le geste d’un romancier qui évalue finement les rapports de forces et saisit toutes les règles du jeu littéraire, sans tout à fait s’y soumettre ? Quelqu’un qui a su manipuler la mauvaise conscience blanche en sa faveur ? Peut-être que l’originalité de la situation c’est que les raisons politiques qui ont poussé le jury à le choisir sont dans l’œuvre elle-même ? Il écrit un livre qui dit en substance « vous êtes des salauds » mais il le fait avec un talent d’écriture qui écrase largement le petit monde littéraire parisien. Ce faisant, il les oblige à le consacrer car c’était le seul moyen pour eux de sauver ce qu’il leur a révélé d’eux-mêmes. C’était le seul moyen de reprendre le dessus sur une œuvre faite pour les humilier. Résultat : ils reprennent le dessus (tout comme Macron) mais l’œuvre reste un affront (tout comme les infidélités croissantes de nombre de dirigeants africains).

    On pourrait se lamenter et regretter que Mohamed Mbougar Sarr ne soit pas vraiment le Mohamed Ali dont nous rêvons. Mais ce serait oublier que ce dernier était un être collectif et qu’il était porté par l’effervescence des luttes noires. Dans le désert politique indigène français, qui aurait sauvé Mohamed Mbougar Sarr des hyènes qui l’auraient déchiqueté ou condamné à la déshérence s’il avait fait le choix héroïque de la rupture ? N’est pas Sartre – qui avait le privilège du prestige et de la blanchité – qui veut. Quel est le prix littéraire en Afrique qui aurait pu rivaliser avec le Goncourt et sublimer le geste rebelle ? Qui en indigénat aurait eu le pouvoir de faire du jeune prodige, un écrivain ?

    Mohamed Mbougar Sarr ne le sait que trop bien : « Voilà notre triste réalité : le contenu misérable de notre rêve misérable, la reconnaissance du centre – la seule qui comptât ».

    Pour l’instant. Parce que si vous observez bien, à la cérémonie de remise du prix, il y a avait des applaudissements mais aussi beaucoup de sourires crispés.
    Houria Bouteldja (qgdecolonial.fr)


     

    Je ne suis pas forcément du genre à me précipiter pour lire le Prix Goncourt, mais « La Plus Secrète Mémoire des Hommes », quatrième roman de l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, était précédé d’une rumeur tellement positive que je n’ai pas pu résister.

    En 2008, un lycéen sénégalais, Diégane Latyr Faye, entend parler dans son manuel de littérature d’un livre qui avait défrayé la chronique en 1938 : « Le Labyrinthe de l’Inhumain ». Son auteur, TC Elimane, écrivain lui aussi sénégalais, avait reçu d’excellentes critiques, bien que certains journalistes aient été décontenancés par le fait qu’il soit africain… mais après des rumeurs de plagiat,  l’auteur avait brusquement disparu. Dix ans plus tard, Diégane, devenu entre temps écrivain, met enfin la main sur un exemplaire de ce livre mythique grâce à sa rencontre avec la grande autrice Siga D, l’une de ses compatriotes. Fasciné par ce qu’il lit, il décide alors de retrouver la trace du mystérieux TC Elimane.

    J’ai eu très peur en commençant ce roman, j’ai cru que l’auteur voulait caser le maximum de mots possibles issus du « Dictionnaires des Mots Rares et Précieux ». Je n’ai rien contre un vocabulaire soutenu mais cela n’a pas fonctionné pour moi au début, cela donnait un côté artificiel et j’ai eu très peur de devoir lire un roman sur-écrit et boursouflé. Il a bien fallu une centaine de pages pour que l’intrigue se mette en place et pour que j’accroche à ce que proposait l’auteur. Et tout d’un coup, ça s’est débloqué, et je me suis mise à dévorer le roman ! 

    J’adore les romans foisonnants et j’ai été servie avec cette grande fresque qui se déroule sur plus d’un siècle, aux multiples narrateurs, qui mêle saga familiale, enquête obsédante et atmosphère mystérieuse, frôlant parfois avec le fantastique. J’aime quand un récit prend des chemins détournés, navigue entre les pays, les points de vue et les époques – au risque d’ailleurs de perdre son lecteur – et que finalement, les différentes pièces du puzzle se mettent en place, et j’ai été servie avec « La Plus Secrète Mémoire des Hommes ».

    Mon plaisir de lecture a parfois été tempéré par des bémols : en sus des débuts difficiles, j’ai eu quelques moments d’essoufflement, où j’avais l’impression que le récit tournait en rond. J’ai également trouvé que ce roman dense était un peu trop riche, que l’auteur voulait parfois parler de trop de choses, et s’éparpillait un peu: au colonialisme, aux conflits d’identité, au pouvoir de la littérature, qui sont finement traités, fallait-il vraiment ajouter la Shoah, et entraîner cette histoire jusqu’en Amérique du Sud?

    Pour autant, même s’il n’est pas exempt de défauts, c’est un livre beau et ambitieux, au suspense savamment dosé, et qui a quelque chose de fascinant, de magnétique! Je ne connaissais pas du tout l’auteur mais j’aimerais à présent découvrir le reste de son œuvre. 
    Eva (blog  tuvastabimerlesyeux.fr)


     

    Je viens de terminer le livre lauréat du prix Goncourt de cette année, La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr. (C’est toujours étrange de dire qu’on a terminé un livre, mais j’éviterai ici les péroraisons faciles sur la puissance de la littérature et la durée de l’œuvre, qui, si elle a su toucher notre âme, demeure près de nous telle une amie intime, et poursuit à travers le temps son travail en nous aidant à façonner notre perception et notre expérience du monde. Je l’éviterai d’autant plus que le livre en question est de ceux qui mettent suffisamment en abyme la littérature elle-même pour qu’une critique d’un tel livre ne puisse se le permettre.)

    Je l’ai terminé, quoi qu’il en soit, avec un sentiment d’inconfort, qui m’a accompagnée d’ailleurs tout au long de la lecture. C’était un livre, il faut le préciser car on vient rarement vierge aux livres (surtout ceux qui ont remporté des prix prestigieux), que je m’attendais à adorer. Un livre qui parle de littérature, de voyage, de quête de sens et de beauté, d’histoires entrelacées avec en fond la Grande Histoire, de parcours intimes. Un livre, qui plus est, que je me sentais d’autant plus disposée à aimer sans réserve que la reconnaissance d’un auteur africain par l’académie Goncourt me semblait, pour ainsi dire, un fait politique important et salutaire. De même, sa coédition par une maison française et une maison sénégalaise, avec le vague espoir que quelques bénéfices matériels, pour une fois, « ruissellent » des grands restaurants du Paris littéraire vers le pays qui a donné naissance à l’œuvre, et en constitue l’un des sujets centraux. Je prévoyais donc d’être bouleversée, impressionnée, émerveillée. Et pourtant : j’ai été dérangée. Dès le début du roman, quelque chose m’a gênée ; et à la fin du roman, quelque chose d’autre est apparu, qui a ajouté à ma gêne. 

    Soyons claire : j’ai aimé le roman. Je l’ai lu avidement, avec curiosité et plaisir, et surtout – ce qui est pour moi la marque de la « réussite » littéraire, si ce mot a un quelconque sens – traversée d’éclairs d’émerveillement devant certaines phrases, certaines pages. Beauté plastique de la phrase et résonance intime de son sens, et parfois la fulgurance d’une révélation, d’une formulation qui éclaire un élément du monde jusqu’alors voilé : voilà pour moi ce qui compte dans un livre – à quoi s’ajoute évidemment (c’est une évidence trop souvent survolée) le plaisir du récit. De ces deux points de vue, La plus secrète mémoire des hommes est sans conteste un roman réussi. Pourquoi, alors, n’ai-je pas été en mesure de l’apprécier sans arrière-pensée ?

    Commençons par ce qui m’est le plus familier. La plus secrète mémoire des hommes, cela a été souligné, est un roman cérébral, réflexif, comme en témoigne la forme du monologue intérieur, du récit à la première personne (récit et monologue se mêlant de façon à ce que l’on ne soit plus certaine de quelle histoire compte véritablement : celle du narrateur, Diégane Faye, qui cherche sa vocation littéraire à travers un livre mythique et s’engage sous ce couvert dans une quête à la fois des origines et de son présent, ou celle du protagoniste principal, Elimane Madag, dont le génie mystérieux et la souffrance béante forment le cœur affirmé du roman). Comme d’autres avant lui, l’auteur met à profit les complexités de structure et les ressources typographiques de l’objet-livre pour tisser une toile polyphonique, nous proposant une plongée dans une histoire aux épisodes et aux narrateurs multiples. À ce titre il m’a rappelé Boussole, de Mathias Énard, autre lauréat du Goncourt il y a de cela six ans. Comme dans Boussole, un narrateur masculin s’interroge sur le sens de sa vie ; à travers son regard un monde surgit. Et pourtant, jusqu’à quel point le sort de ce narrateur nous préoccupe-t-il, au fond ? 

    Pour sa dimension cérébrale, réflexive et inquiète, c’est un roman qui me ressemble – qui ressemble, peut-être, à une génération. « Nous n’avons plus le droit à l’insouciance », m’a dit un jour ma mère – je ne prétends pas connaître suffisamment mes congénères pour l’affirmer, mais à titre personnel il est certain que Diégane Faye aborde la vie d’une manière relativement similaire à la mienne : avec des ambitions endiguées par l’inquiétude et l’incertitude de parvenir à agir, avec le désir de comprendre et de transformer, mais l’ignorance de la manière de faire, avec la mauvaise conscience de celui qui se préoccupe d’art et de soi-même dans un monde qui brûle, et le doute persistant de sa propre parole, l’incapacité à découvrir ce qu’il a vraiment à exprimer – doute qui finalement dure trop longtemps pour que ce qui avait à être dit puisse l’avoir été quand il l'aurait fallu. Bref – c’est un roman qui parle souvent comme je pourrais avoir tendance à le faire. Je le répète, il le fait très bien. Des éclairs d’émerveillement, j’en ai eu énormément dans ce livre, qui est aussi souvent drôle, et dont beaucoup de passages touchent très juste (ainsi, par exemple, de l'écriture-sentinelle ; des fantômes que nous hantons, plutôt qu'ils ne nous hantent ; de l’imagination des aveugles ; ou encore de la vraie perte du passé, qui est celle de l’avenir).

    Pour aimer un livre pleinement, sans retenue, cependant, il faut pouvoir se laisser emporter. Et quelque chose m’en a empêchée tout au long du roman : le regard posé sur les femmes.

    J’ai lu des critiques qui célèbrent la « sensualité » du livre. Soyons plus précise : par « sensualité », ce qui est entendu, ce sont des descriptions de corps féminins, de désirs masculins, et de performances sexuelles répondant en tout point aux normes de la sexualité dominante. L’introduction des trois principaux personnages féminins rencontrés par le narrateur est presque immédiatement suivie d’une précision quant à la nature de leur relation sexuelle. Ainsi à la page 64 :

    « Il y avait ces deux-là, donc, mais il y avait surtout Béatrice Nanga. Musimbwa et moi pensions qu’elle avait, d’entre nous tous, l’univers littéraire le plus singulier. Je m’empresse de préciser qu’aucun de nous n’avait couché avec elle, du moins à ma connaissance, bien qu’il soit apparu lors de nos discussions que nous n’attendions que de le pouvoir… »

    Béatrice Nanga avait déjà fait une très brève apparition page 17, dans les termes suivants :

    « Au milieu des débats, Béatrice, la sensuelle et énergique Béatrice Nanga dont j’espérais qu’elle m’asphyxie un jour entre ses seins… »

    À Marème Siga D., « l’Araignée-Mère », personnage clé du livre introduit page 26, Diégane fait l’honneur de parler un peu de son œuvre avant d’en arriver, au troisième paragraphe, à l’élément déclencheur de leur véritable rencontre, puisque c’est cette vision qui le pousse à venir l’aborder : « Siga D. agita le bras pour relever la manche de son grand-boubou. Par le bâillement de l’habit alors, quelques secondes, j’entraperçus ses seins. Ils se profilaient comme au bout d’un tunnel ou d’un couloir d’attente, le couloir d’attente du désir… »

    Cette écrivaine puissante et flamboyante, « ange noir de la littérature sénégalaise, sans qui cette dernière serait un mortel cloaque d’ennui », Diégane s’adresse à elle avec une érection et une demande : téter ses seins. Siga D., évidemment, se moque de lui, tout comme Aïda, la véritable cible des velléités amoureuses du narrateur, qui a toujours vis-à-vis de lui un ton légèrement suffisant. (Il est surprenant, d’ailleurs, qu’une relation aussi intense que celle que l’auteur prête à Diégane et Aïda repose, du point de vue de son existence littéraire, aussi abondamment sur des descriptions de leur amour physique ; comme si, passé le temps des premiers dîners et du rendez-vous au concert, plus rien d’autre n’existait.) Elles ont beau ironiser et le prendre à la légère, les trois figures féminines, Aïda, Siga D. et Béatrice, répondent au désir de Diégane. Béatrice Nanga est même blessée de son refus de coucher avec elle, puisque, comme nous l’apprend la page 75, « les femmes pardonnent parfois à celui qui brusque l’occasion, jamais à celui qui la manque ». La désastreuse implication de ce conseil m’oblige à formuler explicitement ce message à l’intention de toutes les personnes, et en particulier les hommes, qui liraient ces lignes : « brusquer l’occasion » n’est jamais ni souhaitable, ni légitime ; les occasions, à l’inverse, se vérifient et peuvent aussi se retrouver ; croyez-en, je vous prie, quelqu’un qui a connu son lot de brusqueries.   

    Qu’on ne se méprenne pas : il n’y a bien évidemment aucun mal à parler de sexe, à en proposer des descriptions éblouissantes, à lui reconnaître, dans un récit, une place similaire à celle qu’il peut parfois occuper dans une vie réelle, c’est-à-dire : importante, voire centrale. Mais comme je l’ai dit, pour un livre sensuelLa plus secrète mémoire des hommes est sur ce point assez peu imaginatif. Personnellement, je le dis sans ambages : je n’ai pas grand-chose à me mettre sous la dent. La poétesse haïtienne raconte sa nuit d’amour avec Elimane, un homme, mais pas sa relation érotique avec Siga D. Jamais le regard d’une femme n’est posé de cette façon-là sur le corps d’un homme – ni, d’ailleurs, celui d’un homme, qui pour aisément qu’il porte son regard sur la poitrine des femmes qui l’entourent, semble remarquablement peu enclin à l’exploration de son propre corps. Ce qui est souligné, notamment chez l’homme qui est au centre de toutes les attentions, c’est comme toujours la stature, la qualité de présence, le mystère, le génie, la profondeur et la complexité de son être ; chez les femmes ce sont leurs seins, la taille de leur corps, l’élégance de leurs tenues, le grain de leur peau, et leur disponibilité ou non aux désirs qui leur sont implicitement ou explicitement communiqués. On pourra me répondre que c’est normal, c’est presque inévitable, quelque part entre le hasard et la fatalité, puisque seul le regard du narrateur nous est transmis, et que ce narrateur se trouve être un homme. Mais quid alors du récit de Siga D. ? De celui de la poétesse haïtienne ? Quid de leurs désirs à elles, où se cachent-ils, dans la pudeur de leurs récits ? 

    Dans l’un des autres livres remarqués de cette rentrée littéraire, Deborah Levy pose la question suivante : « comment un écrivain pouvait-il se lancer dans la tâche immense qui consiste à ne donner aucune conscience ni même de vie inconsciente à un personnage féminin comme si c’était la chose la plus naturelle au monde ? ». Mohamed Mbougar Sarr, c’est évident, cherche à donner de l’épaisseur à ses personnages féminins. Chacune des trois est présentée comme extrêmement talentueuse ; bien davantage, on le devine, que les hommes qui les entourent. Et pourtant, immédiatement, rien ne semble avoir d’importance que leur corps, sexualisé par le regard d’un homme. C’est presque comme si l’effort consenti pour leur reconnaître une existence propre n’était qu’un préambule poli avant d’atteindre à ce qui leur donne leur véritable épaisseur, leur signification profonde et leur raison d’être : le rôle qu’elles jouent dans la vie d’un homme, rôle pour lequel leur incarnation dans un corps érotiquement qualifié revêt une importance de premier plan.

    Il y aurait beaucoup à dire sur les figures féminines du livre de Mohamed Mbougar Sarr, leur affiliation à l’image maternelle, leur liberté et l’insécurité qu’elle provoque chez le narrateur, leur ton à la fois agacé et compatissant à l’égard de ce jeune homme qui décidément s’égare, tandis qu’elles sont entières, libres, indépendantes. Et pourtant, toutes à leur manière l’accueillent, le soutiennent, s’investissent en lui, s’occupent de lui. S’occupe-t-il d’elles ? Même d’Aïda, que pourtant il professe aimer exclusivement, entièrement ? N’est-il pas remarquable que même égaré, même travaillé par le doute, même disponible au point de se lancer dans une quête mystique de la littérature, cet homme n’ait que si peu de son être à donner à des femmes qui, elles à la tête d’une vie remplie de projets puissants et importants, lui portent pourtant une attention sincère, parviennent à trouver pour lui du temps, de l’énergie, et de quoi rassurer sa croyance en ses propres performances sexuelles (un sujet qui l’inquiète beaucoup, comme en témoignent notamment ses hésitations lors de sa première nuit auprès de Siga D.) ? Diégane le dit, lorsqu’il raconte sa relation avec Aïda : « Ce soir-là, je m’étais prosterné dans la lumière et j’avais prêté serment. (…) Je le fis seul. » C’est là, je crois, ce qui me dérange le plus profondément : tout ce qu’il vit avec ces femmes, il le fait seul ; à nul instant on ne sent une communion, un partage, et lorsque, prosaïquement, le souci du plaisir de l’autre apparaît, c’est dans un souci de performance – explicite, avec Siga D. – qui encore une fois nous ramène à ce que Diégane fait pour lui-même, avec lui-même. Dans un tel paysage, il n’y a de place pour aucune d’elles.

    Peut-être, dira-t-on, n’y a-t-il tout simplement de place pour personne. Diégane est si obnubilé par sa quête qu’aucun autre personnage – et d’ailleurs, en vérité, à peine lui-même – n’a beaucoup d’épaisseur. Et pourtant, il y a des personnages qui en ont davantage. Ousseynou Koumakh et Musimbwa, par exemple. Ce qui m’amène au second grief que j’ai contre ce livre, celui qui est apparu à la fin : ce récit abominable de Musimbwa, témoignage de notre facile fascination pour l’horreur. Je ne m’attendais pas, je dois l’avouer, à un tel texte à ce moment du livre, et je l’ai lu à reculons, la gorge serrée. Il est par ailleurs bien écrit, et très réussi du point de vue de ce qu’il cherchait sans aucun doute à accomplir : horrifier. Quelle conclusion en tirer ? A-t-il pour but de pousser plus loin le personnage de Musimbwa, qui pourtant est bien secondaire ? De mettre en relief le choix de Diégane, retourner en France, là où Musimbwa choisit de rentrer au pays ? Y avait-il besoin d’un tel épisode, pour le justifier ?

    J’y lis un autre message : qu’au cœur de la littérature, il y a la souffrance. Et pas n’importe laquelle : une souffrance inexpiable, indicible. C’est l’indicible peut-être qui crée le besoin si fort de parler et d’écrire. En refermant le livre, je me suis demandé si la littérature est condamnée à la souffrance ; s’il est vraiment impossible d’écrire quelque chose qui ne soit que beau. Et ce que cela dit de notre monde.

    J’ai omis de parler de Mossane, autre personnage féminin important du livre, dont le destin, malgré sa force à elle, est scellé par les rivalités et les choix égoïstes des hommes qui l’entourent – deux amants et un fils. Nue de corps et privée d’esprit, sous son manguier à l’orée du cimetière, Mossane devient le pur réceptacle et l’incarnation d’une souffrance irréparable. Un rôle que jouent souvent les femmes, surtout les mères – ainsi celle de Musimbwa : « Elle a souffert sous mes doigts comme rarement j’ai vu quelqu’un endurer la souffrance », dit à son fils son tortionnaire et son assassin. En cela encore, le livre, c’est indubitable, est réaliste. Qui dira la quantité de souffrance infligée par les hommes aux femmes en ce monde ?

    La torture de cette femme qui se sacrifie pour son enfant – qui sacrifie plus encore que le sacrifice ultime, puisque seul le fol et vain espoir de pouvoir le retrouver, on le suppose, la retient d’accepter de ses assassins l’offre d’une mort rapide et sans douleur – et son récit insoutenable nous est justifié, dans l’ordre du roman, par le rôle fondateur qu’elle joue dans la destinée de son fils, dont elle est l’explication et l’origine, la source de son talent littéraire et l’essence de ce qu’il a à dire. Trop souvent la souffrance féminine est comme rédimée par ce qu’en font les hommes. Trop souvent la souffrance, tout court, est présentée comme principe originel de toute beauté et de toute création.

    Je précise, c'est indispensable, que les deux critiques que je formule ici ne s'appliquent en aucun cas uniquement à ce livre - c'est de lui, simplement, que je parle aujourd'hui. Qu’on s’entende : La plus secrète mémoire des hommes est un beau roman, dont je salue l’auteur, qui a sans aucun doute de grandes qualités littéraires et qui contient des fulgurances qui m’ont intriguée et émue. Mais quant à ce qu’il a à dire de la littérature, je pense, j’exige même, que nous changions de paradigme. Malgré l’ambition affichée et incontestable de l’œuvre, j’ai eu à sa lecture un sentiment de facilités, au pluriel. La fascination pour l’horreur, pour le mystère qui ne cache qu’une souffrance déchirante (et, me semble-t-il, inutile), pour la violence ; la sexualisation du corps des femmes à travers le regard d’un homme qui ne cherche pas à les regarder pour elles-mêmes ; autant de facilités qui portent atteinte à ce qu’aurait pu être ce livre. Et qui me gâchent mon plaisir.
    antinaé (blogs.mediapart.fr)

     

    Roman axé sur le processus d'écriture qui anime les auteurs, et en particulier les écrivains africains francophones.  Comment leurs racines irriguent-elles l'imagination, la nostalgie est-elle plus féconde que les projections dans l'avenir ? Comment ne pas tomber dans l'exotisme aux relents colonialistes ? Autant de questions qui nourrissent le récit.

    (Lu en mars 2023, collection Médiathèque Françoise Giroud, Labarthe-sur-Lèze)

     

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    Bleu amer

    Bleu amer

    Bleu amer : chroniques 2018-2020 / scénario Sylvère Denné, dessin Sophie Ladame, Editions La boîte à bulles, 2018

    ISBN 978-2-84953-295-9 

     

     

     

     

    Sur l'île granitique de Chausey, l'arrivée d'un parachutiste américain va rompre le ronronnement de la vie des insulaires, jusqu'alors tenus à l'écart des affres de la guerre.

    Printemps 44, îles Chausey. Suzanne profite des grandes marées pour pêcher à pied. Ses marches contemplatives constituent ses instants d'évasion dans une existence morne, marquée par des rapports distants avec son mari Pierre.
    Lui, de son côté, s’oublie à bord de son bateau et dans le café de l’île avec l’alcool pour échappatoire.
    Un jour de pêche, il trouve un soldat américain gisant sur la grève et décide, contre l’avis de certains îliens, de le cacher aux allemands.
    Le convalescent se lie d'amitié avec Pierre et Suzanne, soulagés de voir ainsi rompue la monotonie de leur vie. À l’approche du navire de ravitaillement allemand, ce nouvel équilibre perd de sa légèreté et la tension monte...

    Prix Jeunes talents au festival de la BD Abracadabulles d'Olonne-sur-Mer.

    présentation de l'éditeur


     Au fil de la presse...


     

    La qualité du dessin et originale et très réussie, ainsi qu'en témoigne la couverture du volume. La narration nous laisse un peu sur notre faim...

    (Lu en mars 2023, collection Médiathèque Françoise Giroud, Labarthe-sur-Lèze)

     

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    Sous l'éclat des flèches

    Sous l'éclat des flèches

    Sous l'éclat des flèches : chroniques 2018-2020 / Frédéric Boyer, Editions Bayard, 2020

    ISBN 978-2-227-49815-0

     

     

     

     


    « Je suis reconnaissant d'être encore en vie et en même temps terrifié de l'être toujours. Mais je n'ai pas d'idée exacte envers qui ou quoi je devrais être reconnaissant d'être toujours là. C'est bien une question que je me serai toujours posée. Quelle serait la dette à payer. Cette question m'a frappé, percé comme une flèche invisible, après la mort accidentelle, tragique, en juillet 2017, de la femme que j'aimais, et celle, tout autant terrible et inattendue, quelques mois plus tard, en janvier 2018, de mon éditeur et ami, Paul Otchakovsky-Laurens. Les blessures sont toujours là, sous le soleil de la vie. Les flèches vibrent. Leur éclat m'aveugle encore. »

    Frédéric Boyer écrit depuis deux ans des chroniques dans le quotidien La Croix, puis dans l'hebdomadaire La Croix-L'hebdo où il raconte, à partir de sa vie personnelle, son rapport au monde. Il les publie à présent, revues et augmentées. Et leur force littéraire, spirituelle et politique est éclatante.

    présentation de l'éditeur


     Au fil de la presse...


     

    Coup de cœur ! Ce recueil de chroniques parues dans le magazine hebdomadaire La croix s'ouvre sur le deuil intime que vit Frédéric Boyer et les ressources qu'il cherche sur le plan spirituel et social. Il s'achève lors avec le déferlement du virus SARS-COV2 qui s'abat d'abord sur Wuhan, en Chine puis sur l'ensemble de la planète et en particulier les premiers jours du confinement français face à un gouvernement démuni... Chaque chronique est ciselée, érudite, prenant le lecteur par la main pour cheminer parmi des concepts philosophiques toujours approchés et nourris par une actualité soigneusement sélectionnée.

    (Lu en février-mars 2023, collection Médiathèque Françoise Giroud, Labarthe-sur-Lèze)

     

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