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    traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christine Laferrière.- EditionsChristian Bourgois, 2012

     

     

     

     

     

     

     

    " Toni Morrison nous plonge dans l'Amérique des années 1950.

    « Home est un roman tout en retenue. Magistral. [...] Écrit dans un style percutant, il est d'une simplicité trompeuse. Ce conte au calme terrifiant regroupe tous les thèmes les plus explosifs que Morrison a déjà explorés. Elle n'a jamais fait preuve d'autant de concision. C'est pourtant dans cette concision qu'elle démontre toute l'étendue et la force de son écriture. »
    The Washington Post

    « Ce petit roman envoûtant est une sorte de pierre de Rosette de l'œuvre de Toni Morrison. Il contient en essence tous les thèmes qui ont toujours alimenté son écriture. [...] Home est empreint d'une petite musique feutrée semblable à celle d'un quatuor, l'accord parfait entre pur naturalisme et fable. [...] Mme Morrison adopte un style tranchant qui lui permet de mettre en mots la vie quotidienne de ses personnages avec une précision poétique. »
    The New York Times "

    présentation de l'éditeur


     Dans la presse :

    Dans son dixième roman, Toni Morrison revient creuser son obsession : la violence de la ségrégation et les plaies qu’elle laisse dans les corps et les âmes.

    Dans un club d’Atlanta, un trio de musiciens noirs fait hurler un thème de be-bop. La cadence s’endiable, le batteur, dans un état second, frappe tambours et cymbales comme si la nuit devait s’allonger à l’infini. Incapables de tenir ce tempo, le pianiste et le trompettiste se résolvent à soulever leur percussionniste et l’emmènent, “ses baguettes battant toujours un rythme à la fois complexe et silencieux”.

    L’intrusion de cette musique fantôme dans le dixième roman de Toni Morrison ne surprendra guère ses admirateurs : comme les précédents livres du prix Nobel de littérature 1993, Home propose des personnages hantés par des images et des sons que les autres ne peuvent ni voir ni entendre. Des images et des sons enracinés dans le célèbre “passé qui ne trépasse jamais” d’un autre grand écrivain du Sud américain mutilé, William Faulkner.

    La chair martyrisée au cœur de l’œuvre de Morrison

    Ce passé meurtrier, Frank Money en est depuis l’âge de 4 ans le dépositaire involontaire. Dans une bourgade du Texas, il a vu les habitants de son faubourg noir expulsés par des “individus à la fois avec et sans cagoule”. Un vieil homme, qui s’accrochait à sa demeure, a été battu à mort, puis “ligoté au plus vieux magnolia du comté”. Ainsi associé aux exactions du Ku Klux Klan, l’arbre aux fleurs blanches évoque immanquablement deux vers de Strange Fruit, la complainte révoltée, inspirée par un lynchage survenu en 1930, que Billie Holiday immortalisa en 1939 : “Scent of magnolia, sweet and fresh/ Then the sudden smell of burning flesh” (“La senteur du magnolia, douce et fraîche/ Puis l’odeur soudaine de la chair en feu…”).

    Cette chair, brûlée ou martyrisée, est depuis toujours au coeur de l’oeuvre de Morrison – la soeur de Frank, Cee, s’inscrivant dans une lignée d’héroïnes au corps et à l’âme endoloris. Pour sauver la jeune femme, victime de mutilations infligées par un médecin blanc l’ayant utilisée comme cobaye dans le cadre de ses recherches à visées eugéniste, Frank doit, à son retour de la guerre de Corée, traverser les États-Unis de Seattle jusqu’en Géorgie. En chemin, il est à la fois assailli par le spectacle du racisme quotidien des années 50, harcelé par un mystérieux zazou en costume bleu électrique et taraudé par ses souvenirs de guerre – des souvenirs si traumatisants qu’ils suscitent chez lui un embryon de schizophrénie, dont Morrison rend compte en laissant la narration s’échouer sur l’écueil de visions refoulées, auxquelles s’agrègent d’autres cauchemars, jaillis de l’enfance rurale de Frank et de Cee.

    Une trame empruntée à l’univers des contes de fées

    Pour échapper au sentiment de culpabilité qui en résulte et rebâtir un semblant de foyer, le frère et la sœur devront affronter leur passé et celui de la terre où ils ont grandi – une terre sanglante, où, en écho inversé au passage de Beloved qui voyait une mère trancher la gorge de sa fille afin de lui éviter de tomber aux mains d’une fratrie d’esclavagistes sadiques, un fils est, lors d’une variante sur les combats de gladiateurs de la Rome antique, incité par son père à le poignarder pour lui-même échapper à la mort.

    Il y a vingt-cinq ans, une phrase de Beloved“parfois, il semblait plus sage de ne pas se souvenir” – annonçait le problème auquel Toni Morrison est aujourd’hui confrontée : comment, pour une écrivaine octogénaire, éviter que son nouveau (et bref) roman ne soit éclipsé par le souvenir de ses monumentales oeuvres antérieures ? Sans totalement renoncer aux thèmes sociaux et aux embrasements rhétoriques sur lesquels s’est construite sa mythologie personnelle, la diva en dreadlocks opte dans Home pour une trame empruntée à l’univers des contes de fées. Frank et Cee s’identifient en effet à Hansel et Gretel, les enfants des frères Grimm qui, pour retrouver le chemin de leur maison, sèment petits cailloux blancs et morceaux de pain. Comme dans tout conte, le livre accueille une sorcière (ici, l’aïeule au coeur aussi racorni que ses doigts sont crochus), quelques bonnes fées (une amicale de femmes noires laconiques, dont le sens de la solidarité bourrue permet à Cee de retrouver la santé), un inquiétant lutin (le zazou à éclipses, qui apporte l’indispensable touche de réalisme magique) et un mauvais sort, qu’il importe de conjurer.

    Bâti selon une structure cyclique, Home commence et s’achève donc sur deux versions d’un même événement : au sortir de la prime enfance, les héros terrifiés voient un corps tiré d’une brouette et jeté dans une fosse par des tueurs sans visage ; devenus adultes, ils bravent leurs peurs pour exhumer les ossements et leur donner une sépulture décente. En enterrant à la verticale le cadavre dont le souvenir les poursuivait, les héros s’autorisent eux-mêmes à se tenir debout, à conjurer leurs démons respectifs et à recueillir l’approbation du laurier, “blessé pile en son milieu/Mais vivant et bien portant”, qui a été témoin de la scène. Le chemin de la rédemption et de la reconquête de soi passe par cette fusion avec un environnement poétique et pastoral, la sobriété de cette chute prouvant que l’économie de moyens sied tout autant à Toni Morrison que la pyrotechnie lyrique de ses romans d’antan.

    Bruno Juffin (Les Inrocks)


    Un vétéran noir de la guerre de Corée revient dans son Sud natal pour retrouver sa jeune sœur. La grande dame des lettres américaines à son meilleur.

    Un jeune homme s'enfuit, courant sur des trottoirs couverts de neige, d'un asile psychiatrique de Seattle. Il s'appelle Frank. Il a, pour reprendre le titre français du Steel Helmet de Samuel Fuller, «vécu l'enfer de Corée». Il est noir. Il veut rejoindre la Géorgie et porter secours à sa petite sœur, Cyndra, dite Cee, qui, après avoir fui la misérable ferme familiale pour suivre à la ville un bel escroc qui l'a abandonnée, est tombée dans les griffes d'un médecin expérimentateur, à qui elle sert de cobaye.

    Après la Corée, après les quelques mois suivant sa démobilisation, passés au nord de la côte Pacifique, Frank aspire à retrouver Atlanta, son foyer, son «home». Il en est de même pour Cee, qui a été moins loin que son frère, mais qui a connu, à sa façon, la solitude, la précarité, le déracinement.

    Le nouveau roman de Toni Morrison est le plus bref qu'elle ait écrit jusqu'à présent: cent cinquante pages, la dimension d'une longue nouvelle. Mais il ne traduit pas un essoufflement de la part du Prix Nobel de littérature 1993. Il s'agit plutôt d'une condensation, d'un précipité - au sens chimique du terme - de ses thèmes et de sa manière. Au fil de ses dix-sept chapitres (dont le dernier est comme un bref poème), il reconstitue toute une saga familiale, l'histoire d'une famille noire du Sud, qui connaît la pauvreté, la violence des dernières années de la ségrégation, et dont les deux rejetons, chacun à sa manière - la guerre en Orient pour l'un, le mariage pour l'autre -, tentent d'échapper à la misère d'un destin programmé, avant de chercher à retrouver leurs racines, et leur foyer, aussi démuni qu'il puisse être.

    Vers un ascétisme formel

    Home commence par une vision presque fantastique: deux enfants assistent à un combat entre des chevaux, et à la mise en terre d'un cadavre, à la sauvette. «Sans jamais lever la tête, juste en regardant à travers l'herbe, on les a vus tirer un corps d'une brouette et le balancer dans une fosse qui attendait déjà. Un pied dépassait du bord et tremblait, comme s'il pouvait sortir, comme si, en faisant un petit effort, il pouvait surgir de la terre qui se déversait.» Ce n'est qu'aux dernières pages du livre que le mystère sera éclairci, et que cette scène fugitive et obsédante, comme un mauvais rêve, prendra son sens et éclairera, rétrospectivement, l'ensemble du roman.

    Ces trois pages sont comme un accord initial, comme un riff au seuil d'un morceau de musique. Et, avec Home, c'est bien de musique qu'il s'agit: Toni Morrison a écrit une partition de musique de chambre, donnant tour à tour la vedette à chaque instrument, à chaque personnage. Une partition dépouillée, réduite à l'os, qui suggère plus qu'elle n'explique, qui va à l'essentiel, et dont la force tient précisément à son apparent dénuement.

    Et pourtant, à travers l'histoire simple de deux jeunes gens perdus dans l'Amérique de la guerre froide, elle reconstitue toute une époque, aux prises avec ses peurs, ses frilosités, ses vieux démons. Le Sud des années 1950 est encore celui de l'avant-Kennedy, le Sud de Naissance d'une nation, le Sud du Fleuve sauvage, le Sud de The Lonesome Death of Hattie Carroll de Bob Dylan. Un Sud dans lequel on organise des combats de nègres, comme des combats de coqs.

    Le 29 mai dernier, le président Barack Obama a décoré de la Presidential Medal of Freedom, la plus haute distinction civile des États-Unis, Toni Morrison et Bob Dylan. Deux immenses artistes, deux légendes, l'une des grandes romancières de l'Amérique et son plus grand poète. Deux irréductibles qui creusent imperturbablement leur sillon, dont chaque œuvre marque un pas supplémentaire vers un ascétisme formel, synonyme de densité et de richesse. Espérons que cette double cérémonie donnera aux jurés Nobel l'idée de couronner enfin l'auteur de Blowin'in the Wind.

    Christophe Mercier (Le Figaro)

     

    Lu en avril 2017 (Emprunté à la Médiathèque de Labarthe sur Lèze)

     

     

      

     

     


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