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    The salvationThe salvation

    Western (Danemark, Royaume-uni, 2014, 86 min)

    Réalisation :  Kristian Levring

    Scénario : Anders Thomas Jensen et Kristian Levring

    Musique : Kasper Winding

    Image : Gale Tatersall

    Direction artistique : Chantal Carter

    Décors : Anneke Botha

    Costumes : Diana Cilliers

    Montage : Pernille Bech Christensen

    Photographie : Jens Schlosse

    Production : Michael Auret et Sisse Graum Jørgensen

    Avec... Mads Mikkelsen, Eva Green, Jeffrey Dean Morgan, Michael Raymond-James

    Production : Forward Films, Spier Films, Zentropa Productions 

    Distribution :  Zentropa Productions

     

    Synopsis :  

    L'Ouest américain en 1870, Jon, un pionnier danois prend la diligence avec sa famille nouvellement arrivée. Sa femme et son fils sont agressés par un bandit qui fait également le voyage. Débarqué manu militari, Jon court après le convoi mais arrive trop tard : sur place, il n'a qu'à constater qu'on a tué sa famille. Il exécute les deux bêtes sanguinaires. Or, le frère de l'assassin n'est autre que le colonel Delarue, un soldat à la tête d'un gang. Avec son bras-droit le Corse, il va tout tenter pour mettre la main sur Jon. Seul contre tous dans une ville corrompue, celui-ci ne peut compter que sur Madelaine, une prostituée au grand coeur...

     

    Dans la presse... 

    Le plus réussi, c'est la photo de Jens Schlosser. Cette lumière qui rend irréel, pres­que fantastique, ce hameau du vieil Ouest américain, cerné par des espa­ces déserts. Lorsque Mads Mikkelsen court sur une route, la nuit, à la poursuite de la diligence où deux salauds ont tué son fils et violé sa femme, les ombres, à peine éclairées par la lune, ressemblent à des paysages de Murnau... Les personnages, eux, évoqueraient plutôt le western spaghetti de papa : héros taciturne au visage émacié (Mads remplace le Clint de ­jadis), méchant devenu cinglé pour avoir massacré trop d'Indiens — Jeffrey Dean Morgan, plutôt bien en sosie de Javier Bardem... Eric Cantona a deux répliques, notamment pour féliciter le héros de s'être battu, au Danemark, contre les Allemands ! Eva Green, elle, ne dit pas un mot, les Indiens lui ayant coupé la langue, jadis : une cicatrice lui barre la bouche et elle porte, tatouée sur la tempe, une sorte de croix de Lorraine du plus curieux effet... Bref, rien n'est franchement désagréable. Ni indispensable. — Pierre Murat (Télérama)

     

     

    Vu en Août 2017 (diffusion tv) 

     

     

      

     

     


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    Quatre rois

    Téléfilm dramatique (Allemange, Quarte rois 2015, 89 min)

    Réalisateur :  Theresa von Eltz

    Scénario :   Penny Panayotopoulou, Kallia Papadaki

    Musique : André Feldhaus

    Scénario : Theresa von EltzEsther Bernstorff

    Avec... Christoph Bantzer , Anneke Kim Sarnau , Clemens Schick , Jannis Niewöhner , Jella Haase , Paula Beer , Moritz Leu , Nadine Hahl

    Production : Graal / Twenty Twenty Vision Filmproduktion GmbH / ZDF-Arte

    Producteur : Thanassis Karathanos, Penny Panayotopoulou, Burkhard Althof (producteur associé)

     

    Synopsis :  

    Pour échapper aux tensions des fêtes de Noël, Lara, Alex, Fedja et Timo choisissent de rester dans l'hôpital psychiatrique où ils séjournent. Le docteur Wolff (surprenant Clemens Schick) révèle par ses méthodes peu conventionnelles des qualités qu'ils n'avaient pas soupçonnées. Ayant mis une caméra à leur disposition, il engage ses patients à devenir les instigateurs de leur thérapie. En organisant un réveillon dans la forêt, il leur fait expérimenter l'altruisme et la solidarité. À travers ce téléfilm initiatique, Theresa von Eltz s'intéresse au lent cheminement de l'adolescence à l'âge adulte. Porté par de jeunes acteurs talentueux (Paula Beer, repérée dans Franz), il aborde les questions de la culpabilité ou du sentiment d'être rejeté. Le temps d'un Noël différent des autres, ces quatre rois mages en quête d'identité parviennent finalement à trouver leur place au sein du monde..


     

    Dans la presse...

    Son insolence foncière et son air bravache dissimulent un mal-être insondable. L'insensibilité affichée par Lara ne saurait désarçonner le docteur Wolff. Accoutumé aux provocations de la blondinette aux lèvres amarante, le psychiatre bienveillant fait le pari de prolonger l'hospitalisation de cette jeune fille en détresse, qu'il exhorte à passer les fêtes de Noël dans son service. Aux côtés de trois autres patients, atteints comme elle de troubles psychiques, Lara va éprouver le lent cheminement vers la reconquête de soi. Des séances de thérapie de groupe aux fuites éperdues, la réalisatrice restitue la fébrilité, la rudesse et les assauts de violence de post-adolescents en lutte contre eux-mêmes. Du colosse vindicatif, hargneux à l'égard de son père adoptif, au déraciné mutique et timoré, sa fiction cerne en gros plans des fragments de vies contemporaines. Flirtant avec la forme documentaire, elle donne à voir les solitudes et les errances de ceux qui, à l'orée de l'âge adulte, échouent à s'émanciper d'un lourd passé. Ce premier long métrage entremêle envolées lyriques et séquences brutes, filmées à la manière d'un journal vidéo. L'ensemble n'est pas exempt de maladresses. Mais dans ses imperfections mêmes, le téléfilm sécrète une vérité douloureuse et une verdeur qui coïncident à la perfection avec le désarroi des protagonistes. — Hélène Rochette (Télérama)

     

    La psychiatrie et les adolescents : différentes approches, portraits sensibles des patients et d'un médecin courageux qui tente d'apaiser chacun en usant des vertus d'un sentiment de fraternité retrouvée.

    Vu en juin 2017 (diffusion Arte TV) 

     

     

      

     

     


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  • Roman

    Le garçon incassable / Florence SeyvosLe garçon incassable

    Editions de l'Olivier, 2014 (réédition :  Points)

     

     

     

     

    Henri est frêle, fragile, « différent ». Et pourtant il émane de lui une force étrange. Lorsque sa sœur découvre la vie de Buster Keaton, génie du cinéma burlesque, elle ne peut s’empêcher de penser à lui. Buster est insensible à la douleur, Henri ne peut la dire. L’un effectue des cascades périlleuses, l’autre subit une rééducation éprouvante. Résistants, seuls, insoumis, ce sont deux garçons incassables.

    présentation de l'éditeur


     Dans la presse :

    « Florence Seyvos marche sur deux fils, le burlesque et le tragique. C'est dans cet équilibre, cette double tension, que se déploie ce texte gracieux. »

    Le Monde


    C'est une fille inclassable qui a écrit Le Garçon incassable. Florence Seyvos a de solides bagages pleins de trésors, et fait son chemin mine de rien, depuis une vingtaine d'années. Scénariste de quatre films de Noémie Lvovsky (La vie ne me fait pas peur, Les Sentiments, Faut que ça danse ! et, plus récemment, Camille redouble), lauréate en 1995 du Goncourt du premier roman avec Les Apparitions (où un handicapé mental de 5 ans se prenait pour une voiture), auteure de livres pour la jeunesse (dont l'extraordinaire Nanouk et moi, sur les séances psy d'un enfant hanté par le documentaire Nanouk l'Esquimau) : nul besoin d'être le docteur Zblod, psychiatre de Nanouk et moi, pour établir des liens entre tous ces faits d'armes et son nouveau roman qui paraît aujourd'hui, où il est question, en vrac, de la difficulté d'être, du handicap et du cinéma muet.

    Le garçon incassable s'appelle Henri. Prognathe, squelettique, dormant avec une mentonnière, le bras dans un tube de plastique pour l'empêcher de s'atrophier, il avance cahin-caha, tombe et se relève toujours sans moufter. Le garçon incassable s'appelle aussi Buster Keaton. Enfant de la balle lancé sur scène par ses parents comme un noyau de cerise craché dans un jardin, l'acteur subit son destin de projectile avec un admirable stoïcisme. Florence Seyvos retrace ces deux existences sans les mêler, grâce à un montage parallèle à la David Griffith, à l'affût du temps qui passe. Inspiration, expiration. Henri suspend son souffle, immobile. Buster voltige dans le vent, en mouvement permanent. Parfois, Henri trébuche sur le tapis, comme dans un gag de film de Keaton. Parfois, Keaton perd sa chaussure au cours d'une cascade, comme dans la vie d'Henri.

    Si « attendre est l'une des choses qu'Henri sait le mieux faire », c'est aussi le point fort de Florence Seyvos, reine de l'observation sous cloche. Elle a choisi deux personnages dont la condition même est de s'exposer à la curiosité des autres, pour parler de son thème de prédilection : le regard. Jusqu'où peut-on scruter l'autre, jusqu'où peut-on être spectateur de soi ? Tout est question de focale, répond-elle, avec un art du flou et de la mise au point, une écriture tantôt cotonneuse, tantôt acérée. Pour se regarder soi-même, il faut se dédoubler, au risque de se confondre avec les autres ou de se perdre de vue, voire de disparaître de tout champ de vision. Comme Henri, qui laisse passer tout le monde dans la file du cinéma, pendant plusieurs séances de suite, pétrifié à l'idée d'avancer. L'identification, avec ses héros préférés, ses ancêtres, ses enfants, est un jeu dangereux dont Florence Seyvos cherche à comprendre les règles une fois qu'il est lancé. Au bout de ce livre abrupt et pudique, elle parvient à une conclusion : l'humanité de l'être triomphe toujours d'un corps abîmé, pour qui sait l'entrevoir.

    Une discrète narratrice se cache entre les pages du livre, comme entre deux portes. Lancée dans un voyage à Los Angeles, sur les traces de Buster Keaton, « L'Homme qui ne rit jamais » , elle est aussi la sœur d'Henri, « en rit ». Rire ou ne pas rire, parler ou se taire, ces questions demeurent sans réponse dans la tête de cette fille qui a choisi la transparence. Ses doutes quant au visage à afficher, sa tentation de l'invisibilité, ses injonctions de maîtrise de soi, insufflent au roman une magie presque spectrale. C'est elle, la véritable héroïne du livre, fille fragile en appui sur deux garçons incassables, forte femme épaulant deux gueules cassées. Chez Florence Seyvos, rien n'est jamais définitif, la silencieuse inversion des rôles est une question de survie.

    Marine Landrot, Télérama


     

    Lu en mai 2017 (collection personnelle)

     

     

      

     

     


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    September, une femme seule

    Téléfilm dramatique September, une femme seule(Allemange, Grèce, 2013, 89 min)

    Réalisation :  Penny Panayotopoulou

    Scénario :   Penny Panayotopoulou, Kallia Papadaki

    Musique : Giorgos Zachariou

    Photographie : Giorgos Michelis

    Chef monteur : Petar Markovic

    Avec... Kora Karvouni (Anna), Maria Skoula (Sofia), Nikos Diamantis (Stathis), Irine Kolliakou (Nelly), Anastasis Tzertzemelis (Stephanos), Youlika Skafida et Christos Stergioglou

    Production : Graal / Twenty Twenty Vision Filmproduktion GmbH / ZDF-Arte

    Producteur : Thanassis Karathanos, Penny Panayotopoulou, Burkhard Althof (producteur associé)

     

    Synopsis :  

    Ana, jeune femme athénienne est une fille profondément seule et l'unique présence auprès d'elle est celle de son fidèle compagnon, Manou, un chien. Sa sœur vit au Etats-Unis où elle a fondé une famille, sa mère a disparu. Elle-même travaille dans un magasin (genre Ikea) mais elle ne semble pas entretenir d'amitié avec ses collègues. Malheureusement, l'animal meurt et la jeune femme se retrouve totalement isolée. Désemparée, elle trouve du réconfort avec ses voisins, un couple ayant deux enfants. Très vite, elle prend goût à vivre à leurs côtés... mais elle devient envahissante... 

    Un émouvant téléfilm grec dont les deux actrices principales, Kora Karvouni et Maria Skoula, ont obtenu une mention spéciale au Festival de Karlovy Vary.


     

    Dans la presse...

    Inconsolable depuis la perte de son chien, Anna devient envahissante pour ses voisins... Un émouvant téléfilm grec dont les deux actrices principales, Kora Karvouni et Maria Skoula, ont obtenu une mention spéciale au Festival de Karlovy Vary.

    La jeune Anna vit seule dans un petit appartement d’Athènes. Elle adore Manu, son compagnon à quatre pattes, travaille et se trouve plutôt satisfaite de sa vie. Mais le jour où son chien meurt, tout s’effondre. Inconsolable, Anna cherche du réconfort auprès de ses voisins. La famille de Sofia et Stathis devient pour elle le symbole du bonheur. Elle s’immisce dans la vie du couple et devient omniprésente, jusqu’à ce que ses nouveaux amis perdent patience et la rejettent.

    Même s’il ne s’agit "que" du deuil d’un animal, ce film aborde la question de la perte et de la reconstruction de façon émouvante. Au dernier Festival de Karlovy Vary, la prestation des deux actrices principales, Kora Karvouni et Maria Skoula, a fait l’objet d’une mention spéciale. (ARTE)

     

    La solitude, les difficultés économiques qui apparaissent très pesantes dans la Grèce d'aujourd'hui, quel que soit le statut social (les voisins pourraient sembler aisés, le père de famille étant médecin, or il n'en est rien : poids des crédits, travail harassant...)

    Vu en mai 2017 (diffusion Arte TV) 

     

     

      

     

     


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  • Roman

    Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier / Patrick ModianoPour que tu ne te perdes pas dans le quartier

    Editions Gallimard, 2014

     

     

     

     

     

     

     

    « – Et l'enfant ? demanda Daragane. Vous avez eu des nouvelles de l'enfant ?
    – Aucune. Je me suis souvent demandé ce qu'il était devenu... Quel drôle de départ dans la vie...
    – Ils l'avaient certainement inscrit à une école...
    – Oui. À l'école de la Forêt, rue de Beuvron. Je me souviens avoir écrit un mot pour justifier son absence à cause d'une grippe.
    – Et à l'école de la Forêt, on pourrait peut-être trouver une trace de son passage...
    – Non, malheureusement. Ils ont détruit l'école de la Forêt il y a deux ans. C'était une toute petite école, vous savez...»

    présentation de l'éditeur


     Dans la presse :

    Jean Daragane avait oublié le nom de Guy Torstel. Il avait aussi effacé de sa mémoire le roman qu'il écrivit jadis, « Le Noir de l'été ». Jean Daragane vit seul depuis longtemps, évitant de penser à ces années anciennes qu'il ne souhaite pas convoquer, ces temps remplis de visages et de noms qui provoquent en lui comme « une sorte de vertige, un picotement à la racine des cheveux ». Des lieux d'enfance, une femme, une maison viendront pourtant aviver sa mémoire, ouvrir une brèche dans le temps... Paru en 2014, à la veille de l'attribution à Patrick Modiano du prix Nobel de littérature, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier est une nouvelle invitation à pénétrer dans cette oeuvre si cohérente et pourtant surprenante, dont chaque page n'en finit pas de nous bouleverser, nous séduire, nous envoûter. — Christine Ferniot (Télérama)
     

    Un nouveau Modiano, c’est toujours un événement ! Même si, comme depuis la Place de l’étoile paru en 1968, l’intrigue repose, en apparence, sur « Presque rien. Comme une piqûre d’insecte qui vous semble d’abord très légère. Du moins c’est ce que vous vous dites à voix basse pour vous rassurer ». Non, un roman de Modiano n’est jamais anodin.

    Ce 28ème opus du catalogue des œuvres modianesques, je l’ai lu dans la même « chaleur inhabituelle pour un mois de septembre » qui enveloppe le personnage principal, Jean Daragane (Ah ! le subtil parfum de désuétude dégagé par les patronymes choisis par l’auteur de Memory Lane !). Je me suis laissé emporter par la mélodie de ses « phrases que vous entendez comme dans un demi-sommeil […] émaillées d’adresses précises : 15, rue de l’Ermitage, 12, rue Nicolas-Chuquet, 46, rue Notre-Dame-de-Lorette, sans doute pour trouver des points de repère à quoi s’accrocher dans ce sable mouvant. » On pourrait croire que Modiano décrit ainsi l’effet de ses propres textes, ou de ceux écrits par Jean Daragane, le personnage de Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier qui est, lui aussi, écrivain. Mais en fait, cette description ne s’applique pas à un texte littéraire, mais à la « masse épaisse et visqueuse » de documents d’archives déposés chez Jean Daragane pour le ramener sur les traces de son passé, pour le forcer à repartir sur les pistes ouvertes par son premier livre, Le Noir de l’été, pour l’obliger à se confronter aux souvenirs de l’enfant confié à une certaine Annie Estrand.

    Elle occupait une villa à Saint-Leu-La-Forêt avant d’être arrêtée au poste frontière de Vintimille avec dans son sac trois photomatons représentant un jeune garçon que les services de police n’ont pas réussi à identifier. En les découvrant dans le dossier déposé par un certain Ottolini, Jean Daragane « éprouva une sorte de vertige, un picotement à la racine des cheveux. Cet enfant, que des dizaines d’années tenaient à une si grande distance au point d’en faire un étranger, il était bien obligé de reconnaître que c’était lui. »

    Les jeux de miroir, les mises en abyme, sont vertigineux dans ce roman qui déploie le processus de l’écriture modianesque tout autant que le récit d’une enquête à la poursuite de fantômes, gens de l’ombre et des milieux interlopes venus d’un passé lointain, étranger, et pourtant familier. Nous connaissons cet enfant qui « trimballe de chambre en chambre depuis quelques années », « une valise jaune en carton bouilli […] qui contenait des cahiers de classe, des bulletins, des cartes postales reçues dans son enfance, et les livres qu’il lisait à cette époque-là : Arbre, mon ami, Le Cargo du mystère, Le Cheval sans tête, Les Mille et Une Nuits », nous l’avons déjà rencontré dans d’autres romans de Modiano, ou dans ses livres plus autobiographiques, Livret de famille ou Un pedigree. Cet enfant est marqué par l’abandon - « Ta mère voulait que tu prennes l’air de la campagne… J’avais l’impression qu’elle cherchait à se débarrasser de toi » - mais aussi par le trouble et le malaise suscité par ce qui l’a entouré, par ce qui lui a été imposé, par l’angoisse et l’inquiétude du fugitif, et, au final, par une sorte d’indifférence à l’égard de ceux qui persistent à ne pas être ses semblables : au début du livre, Daragane annonce qu’il n’a parlé à personne depuis le début de l’été.

    Même lorsque le personnage (ou la personne s’il s’agit de la «  vraie vie » de Patrick Modiano) a le pouvoir de l’écrivain, celui de se débarrasser du passé dans les livres, les faits lui reviennent, alimentant ses craintes, ou comblant ses espoirs : «  Il m’arrive, a expliqué Modiano, de donner dans mes livres de vrais noms à mes personnages, en espérant que les personnes me donnent signe de vie. Mais cela n'a jamais abouti. » Dans Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Jean Daragane voit ce rêve ou ce cauchemar se réaliser. La « piqûre d’insecte » évoquée dès la première page insiste. « D’abord très légère, elle vous cause une douleur de plus en plus vive et bientôt une sensation de déchirure. Le présent et le passé se confondent, et cela semble naturel puisqu’ils n’étaient séparés que par une paroi de cellophane. Il suffisait d’une piqûre d’insecte pour crever la cellophane ».

    Il faut alors trouver les mots pour dialoguer avec ceux qui s’imposent comme une menace, avec les témoins qui demeurent, quarante ans après, les mots pour décrire le sentiment d’étrangeté qui persiste à accompagner l’auteur dans sa traversée du présent, de la ville comme de la vie : « Les façades d’immeuble et les carrefours étaient devenus, au fil des années, un paysage intérieur qui avait fini par recouvrir le Paris trop lisse et empaillé du présent. »

    Modiano habite un univers très particulier dans lequel, de livre en livre, il nous entraîne. Les scènes et les personnages qu’il décrit entrent en résonance avec des souvenirs comme rêvés, très lointains et enfouis chez ceux qui, comme moi, sont nés dans le Paris de l’après-guerre, y ont vécu à deux pas de la place Blanche et y ont composé, en tournant les lourds cadrans blancs des téléphones en bakélite noire des numéros à trois lettres et à quatre chiffres. Mais la portée poétique de ses évocations va bien au-delà de la nostalgie. L’enfant blessé persiste à errer, en quête des « presque rien » qui ont forgé sa destinée, sans ressentiment, avec un perpétuel étonnement face à la manière dont le temps tremble en se déployant, et dont « le chagrin […] se propage à travers les années comme le long d’un cordon Bickford. »

    Aliette Armelle (blog de l'OBS)


     

    L'auteur poursuit son méticuleux travail sur la mémoire et l'enfance dans Paris, faisant resurgir des quartiers tels qu'ils étaient voici plus de quarante ans. Le fil conducteur est tenu par le narrateur, Jean Daragane, sexagénaire, romancier vivant dans une profonde solitude au cœur de Paris.

    Les pierres, les odeurs, les devantures des commerces ont un puissant pouvoir d'évocation. Les personnages 'glissent' dans le roman tels des fantômes dont on ne sait pas vraiment si le narrateur les cotoie réellement ou s'ils sont des artifices portant les souvenirs. Belle composition dont finalement le personnage principal est aussi bien la ville de Paris, les Tuileries, les bois et banlieues, Saint-Leu-la-forêt, que le voyage en train vers la Riviera, qu'un monde d'adultes interlope, où se croisent des joueurs habitués des casinos, des jeunes femmes 'sous protection virile' (entraineuses, danseuses, acrobates ?)

    Univers perçu à hauteur d'enfant par le petit Jean Daragane, ballotté sans explication, sans repère familial, avec tout le mystère et le sentiment d'insécurité que cela suppose.

    Lu en mai 2017 (Emprunté à la Médiathèque de Labarthe sur Lèze)

     

     

      

     

     


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