Roman d'anticipation
1984 / George Orwell
[titre original : Nineteen Eighty-Four] traduit par Amélie Audiberti Editions Gallimard, collection Folio, 1950
" De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de Winston... Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, dans un vol courbe. C'était une patrouille qui venait mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n'avaient pas d'importance. Seule comptait la Police de la Pensée. "
présentation de l'éditeur
ANALYSE
‘1984’, publié en 1949, est le plus célèbre roman de George Orwell avec ‘La Ferme des Animaux’ ; ils figurent d’ailleurs tous deux dans la liste des cent meilleurs romans et nouvelles de langue anglaise de 1923 à nos jours (magazine Time).
George Orwell, profondément de gauche, écrit ‘1984’ – communément considéré comme une référence du roman d’anticipation – juste après le Seconde Guerre Mondiale. Parabole du despotisme moderne, le roman est très clairement inspiré du régime soviétique. Il emprunte au nazisme, au stalinisme et au fascisme.
Sa portée symbolique dans l’immédiate après-guerre justifie son succès et est l’enjeu d’une terrible bataille idéologique.
L’histoire, qui se situe à Londres en 1984 (d’où le titre), décrit un monde en guerre régi par trois puissances : l’Océania , l’Eurasia et l’Estasia. L’Océania – comprenant les Amériques, les îles de l’Atlantique dont les îles Anglo-Celtes, l’Océanie et l’Afrique australe – est un Etat totalitaire dirigé par Big Brother, qui est l’objet de culte de la personnalité. Omniprésent sur les affiches propagandistes et les « télécrans » – à la fois un système de télévision qui diffuse en permanence les messages de propagande du « Parti », et de vidéo-surveillance –, il n’apparaît jamais en personne et est représenté par le visage d’un homme d’environ 45 ans, moustachu dans une expression qui se veut à la fois rassurante et sévère. Son image donne l’impression à quiconque la regarde qu’il vous épie et vous suit du regard où que vous vous trouviez, d’où la maxime officielle « Big Brother is watching you » (« Le Grand Frère vous regarde ») aujourd’hui connue de tous.
Bien que très importante, la principale activité de Big Brother n’est pourtant pas de surveiller la population, mais de faire réécrire l’histoire en permanence afin qu’elle corresponde aux desseins du « Parti ». Winston Smith, 39 ans et personnage principal du roman, officie en ce sens au sein du commissariat des archives (« Commarch » en novlangue, langue du « Parti ») du Ministère de la Vérité (« Miniver » en novlangue). En revanche, son travail ne lui plaît guère, car – contrairement à la majorité de la population – il ne réussit à opérer cette amnésie collective et n’est dès lors en mesure d’adhérer à ce parti tyrannique et mensonger.
Accablé par le doute et la solitude, Winston Smith va écrire son journal intime en cachette du télécran par peur d’être traqué par la « Police de la Pensée », une redoutable organisation de répression. Comment en effet ne pas douter lorsque vous êtes constamment surveillé et matraqué de slogans despotiques tels que « la guerre c’est la paix », « la liberté c’est l ‘esclavage » ou encore « l’ignorance c’est la force » et que la délation est érigée en principe de vie ?
Lors des « Deux Minutes de la Haine », moment rituel de la journée durant lequel le peuple est obligé de regarder l’ennemi de « l’Angsoc » (socialisme anglais en novlangue), Emmanuel Goldstein, sur des écrans, Winston Smith rencontre Julia. Il croit tout d’abord qu’elle est une espionne de la « Police de la Pensée », car elle le suit à plusieurs reprises : il souhaite l’éliminer en lui écrasant le crâne avec un pavé… Il changera d’avis lorsqu’il apprendra que cette femme est en fait amoureuse de lui. Naît alors une sulfureuse histoire d’amour entre eux. Ils se retrouvent à l’abri des regards indiscrets dans une mansarde louée dans le quartier des prolétaires, l’amour et toute autre émotion positive étant interdite, car l’individu doit une obéissance fidèle et aveugle à l’Etat uniquement.
Mais cette belle et passionnée idylle – découverte par un « télécran » caché dans la chambre par le propriétaire Monsieur Charrington – se voit mise à mal par l’arrestation de Winston et Julia par la « Police de la Pensée » qui sont amenés au « Ministère de l’Amour ». Winston y sera torturé et humilié durant un long moment jusqu’à ce qu’il perde toutes ses valeurs morales et soit sincèrement enclin à adhérer à toutes les idées du « Parti », aussi contradictoires soient-elles… Le but du « Parti » étant d’éradiquer toute pensée allant à son encontre, la « rééducation » – sous la torture – de Winston se termine lorsqu’il trahit et renie Julia, la femme qu’il a pourtant profondément aimée. Libéré, Winston n’est plus qu’une épave vide de dignité et de sentiments. Un jour, il croise par hasard Julia qui l’a aussi trahi sous l’emprise des méthodes sadiques de la police. Leur amour ne peut renaître de cette déloyauté réciproque, ils décident alors de ne plus se revoir.
À la suite du succès du roman, Big Brother est devenu la représentation de l’État policier et de la perte des droits individuels de la population dans la culture populaire anglo-saxonne.
source : http://www.1984-orwell.fr
1984, de George Orwell
Il existe des livres et des auteurs qui resteront gravés dans l’Histoire. L’écrivain britannique George Orwell et son roman 1984, pièce maîtresse de son oeuvre littéraire, en font partie. Ecrit en 1948 par un homme mourrant, 1984 est un des plus grands ouvrages du XXe siècle, c’est certain. Mais il est toujours bon de le faire découvrir à ceux qui ne le connaissent pas.
George Orwell, de son vrai nom Eric Blair, né en Inde en 1903, fut policier dans son pays, clochard et plongeur dans un restaurant à Paris, combattant au côté des Républicains espagnols en 1936, homme de gauche engagé avec les communistes, speaker à la BBC, maître d’école, employé d’une librairie, journaliste, mais surtout un grand écrivain en son siècle. Farouche défenseur des libertés, il dénonça les crimes communistes et écrit de nombreux romans et essais.
"La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force." répète le régime de Big Brother en 1984, société la plus totalitaire imaginée en littérature. Orwell, qui a eu pour professeur de Français Aldous Huxley, auteur du Meilleur des Mondes, décrit ici un monde terrifiant, où la Police de la pensée règne. Winston Smith est employé au Commissariat des Archives, dans le ministère de la Vérité, où il falsifie l’Histoire pour ne pas compromettre le pouvoir qui se serait trompé dans le passé. Tout est réécrit : il n’y a plus aucune trace de l’erreur, il n’existe qu’une seule version des faits, celle de Big Brother, dictateur à la grosse moustache noire… Depuis des années, on mène une guerre sans fin et patriotique au bout du monde, la pensée est contrôlée, les opposants sont torturés par le ministère de l’Amour qui détruit leur mémoire et leur existence, la propagande s’affiche quotidiennement, et, partout, "Big Brother" nous regarde. Dans une société où l’Humain et ses sentiments ont été éliminés, Winston recherche l’amour et la liberté. Il se met à écrire secrètement dans son carnet, parmi des êtres totalement asservis.
George Orwell, qui s’emploie à dénoncer les régimes totalitaires de son époque et ceux qui les suivront en exemples, écrit une histoire assez simple au premier abord, celle de Winston et de cette société. Mais ce chef d’oeuvre est beaucoup plus qu’une simple critique : c’est une réflexion en profondeur sur le totalitarisme, la liberté, la pensée et l’humain. Roman de science-fiction ou thèse politique, 1984 nous montre que personne n’est à l’abris du contrôle de la pensée, même Winston qui, pourtant, y est symbole de la révolution contre la dictature… Orwell, écrivant avec violence des passages sur la torture et les pires sentiments humains, ne tombe pas dans le simplisme mais étudie le phénomène totalitaire. Que dire de ces personnages, Syme, qui restreint le vocabulaire pour créer le "Novlangue" afin de limiter la pensée, ou Parson, esclave du Parti, qui se fait dénoncer par sa fille et en est tout de même fier, si ce n’est y trouver un terrible – mais réaliste – parallèle avec tous ceux dont la pensée libre a été supprimée au point de les anéantir humainement ?
1984 est finalement un miroir de l’Homme et de ses pensées les plus dangereuses. George Orwell a réussi à mêler dans son récit à la fois une intrigue bien menée et une véritable réflexion (à gauche, comme tous les essais de l’écrivain, mais 1984 dépasse évidemment les clivages politiques). Nous avons là la description détaillée de Londres imaginée en ruines, où le regard de Big Brother (à propos, qu’en aurait pensé Staline à la lecture de l’ouvrage ? …) est omniprésent, dominée par les ministères de l’Amour (respect de la loi), de la Vérité (information), de la paix (la guerre). Le roman d’Orwell pose aussi la question de la liberté et de la conscience morale – de la responsabilité : comment ne pas douter du bien-fondé d’une société fondée sur la terreur, la délation et le mensonge, en particulier lorsqu’on participe personnellement à l’élimination systématique de toute pensée autre qu’officielle ? Publié en pleine guerre froide, 1984 est forcément un grand livre (par sa portée philosophique et la personnalité de son auteur), qui a osé traiter d’un sujet épineux mais à qu’on ne pouvait ignorer à l’époque, le totalitarisme et la métamorphose des "révolutions" en systèmes despotiques. On accusa Orwell d’anticommunisme et utilisa (après sa mort) son livre aux Etats-Unis contre l’URSS. Alors qu’il n’était jamais rentré en Union soviétique, il avait réussi à décrire le quotidien des cadres du Parti, d’après certains concernés… 1984 n’est pas une vision terrifiante de l’avenir politique (et humain) du monde, mais un condensé (personnalisation du pouvoir, propagande, violence…) de toutes les idées totalitaires qu’ont acceptées nombre de personnes au nom de la "révolution".
Roman très sombre et pessimiste (Orwell n’était sans doute pas confiant en l’avenir en 1948…), 1984 dépassera toutes les époques, car jamais un livre n’a autant démontré que l’Homme est dangereux pour lui-même par ses actes et sa pensée. C’est un rappel à chaque génération que la liberté de la pensée reste pour une société démocratique la première obligation. La littérature, avec ce livre et cet auteur en références entre autres bien sûr, s’est emparée de l’engagement pour la force de la pensée. (Image : affiche de propagande, 1937, Collection David King)
source : http://pitou.blog.lemonde.fr
lu en février 2017 (prêté par Matthieu Tonneau)