• Roman

    Continuer / Laurent Mauvignier

    Editions de Minuit, 2016Continuer

     

     

     

     

     

     

     

    " Sibylle, à qui la jeunesse promettait un avenir brillant, a vu sa vie se défaire sous ses yeux. Comment en est-elle arrivée là ? Comment a-t-elle pu laisser passer sa vie sans elle ? Si elle pense avoir tout raté jusqu’à aujourd’hui, elle est décidée à empêcher son fils, Samuel, de sombrer sans rien tenter.
    Elle a ce projet fou de partir plusieurs mois avec lui à cheval dans les montagnes du Kirghizistan, afin de sauver ce fils qu’elle perd chaque jour davantage, et pour retrouver, peut-être, le fil de sa propre histoire."

    présentation de l'éditeur


     Dans la presse :

    Chevauchée de la dernière chance pour une femme et son ado paumé dans la splendeur sauvage des montagnes kirghizes. Epoustouflant.

    Deux injonctions s’étalent sur la couverture de ce livre, comme deux lumières dans la nuit, deux repères pour poursuivre sa route. Continuer. Mauvignier. Un titre en forme d’infinitif. Un auteur en forme d’infinitif. A la page M d’un dictionnaire imaginaire, le verbe « mauvignier » aurait sans doute plusieurs définitions. Mauvignier, c’est forer, déceler, déferler, respirer. Et continuer. Voilà dix-sept ans que cet écrivain tient ses promesses, dix-sept ans qu’il avance et nous emmène à sa suite sans jamais décevoir. Son dernier livre, Autour du monde, traçait des lignes et tissait des liens, d’un bout à l’autre du globe, un jour de tsunami. A chaque fois qu’un chapitre se fermait pour passer d’une existence brisée à une vie en reconstruction, le lecteur poursuivait le séjour en secret, s’attardait en pensée dans des lieux trop vite quittés, et se prenait à rêver de prolonger les rencontres.

    Avec ce nouveau roman, Laurent Mauvignier exauce ce souhait. Il nous propulse dans les montagnes kirghizes, et s’arrête, s’installe. L’immobilité pour mieux dire le mouvement des choses, la vitesse pour en saisir la paralysie. Tel a toujours été le secret de son écriture, qui dessine ici le parcours accidenté du voyage initiatique d’une Bordelaise avec son fils adolescent, au fin fond de l’Asie centrale. Sibylle a vendu sa maison en France pour payer cette cavale de secours à Samuel, garçon en perdition, déscolarisé, déphasé, désaxé, dont la peur de l’avenir s’est transmuée en peur du présent. Le livre révèle les origines de ce geste d’amour sacrificiel, en suit l’effet 

    boomerang après la déflagration, en mesure la portée mystérieuse, aléatoire, aussi destructrice que salvatrice. Rarement Laurent Mauvignier avait osé une telle évidence des sentiments, une telle puissance du don à l’autre. Comme Xavier Dolan dans son film Mummy, il n’a pas peur de s’en remettre à la simplicité de l’émotion, inébranlable point de stabilité au milieu du chaos.

    Hymne incomparable à l’amour d’une mère pour son fils, Continuer est aussi un grand livre d’aventures, sauvage et abrupt, d’une splendeur visuelle qui appelle à l’adaptation cinématographique, à moins que Bartabas ne tombe dessus, et ne s’en inspire pour un prochain spectacle. Au plus près de la nature (roche, limon, lac, glacier, forêt) Mauvignier signe un somptueux western où les chevaux sont rois. Doubles des héros, à la fois témoins, soutiens et médiums, ils soufflent et crapahutent, sondent et protègent, se cabrent et se soumettent, mus par des élans de fusion et d’indépendance. Ils habitent les plus belles pages du livre, avec un passage d’anthologie où l’action est décrite par son reflet dans l’oeil d’un cheval. Effet miroir vertigineux, où Mauvignier parvient à dire l’unité de l’homme, de l’animal et du cosmos, malgré la plu­ralité des phénomènes et des cataclys­mes, dont toute son oeuvre littéraire recolle les morceaux.

    Samuel doit son prénom à la passion de sa mère pour Beckett. Il connaît cette désintégration totale que provoque l’angoisse de solitude. Sa peur « de se diluer en l’autre, de devenir l’autre » le pousse au rejet de toute différence, au fantasme d’une France blanche, lisse et repliée sur elle-même. Son voyage va lui enseigner qu’il fait partie d’un tout, solide et fourmillant. Ainsi pourra disparaître sa crainte de l’avenir, que Laurent Mauvignier déjoue avec une utilisation passionnante du futur dans ses phrases. Il réserve ce temps au récit des disparitions, des morts, comme pour les retarder, les mettre en suspens, et préserver l’instant d’avant la chute.

    Continuer ? On continuera. Attenti­vement, avidement, on suivra cet écrivain en mouvement.

    Marine Landrot (Télérama)


     

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    L’auteur à succès Laurent Mauvignier publie Continuer aux éditions de minuit. L’ouvrage faisait partie de la sélection du prix du roman étudiant France Culture-Télérama pour cette année 2016. Il a terminé en troisième position dans les votes, derrière l’astucieux L’autre qu’on adorait de Catherine Cusset et après l’impressionnant lauréat, Gaël Faye, pour son déchirant Petit Pays. Zone critique revient pour vous sur cette attendrissante, et bien méritée, médaille de bronze.

    Septembre 2016

    Laurent Mauvignier publie pour la première fois en 1999 son roman Loin d’Eux. Depuis, nombre de ses livres ont obtenu d’illustres prix littéraires. Il est même, depuis 2010, chevalier de l’ordre des arts et des lettres, qui récompense ainsi sa riche production. Ecrire à partir de faits réels n’est pas une habitude étrangère à Laurent Mauvignier et Continuer ne déroge pas à la règle. L’intrigue du roman est originale : Sibylle voit son fils Samuel prendre le chemin de la délinquance. Parallèlement, elle considère sa propre vie comme une succession d’échecs. Afin de les réparer tous deux, elle imagine un projet fou : emmener son fils plusieurs mois au Kirghizistan. Cette idée singulière est née dans l’esprit de l’auteur grâce à un article du Monde, publié le 30 août 2014 par Pascale Krémer. Dans ce dernier, intitulé « Au Kirghizistan, la chevauchée initiatique d’un père et son fils », un certain Renaud emmène son fils Tom au pays des chevaux pendant trois mois, dans le but de renouer avec celui-ci, qui commençait à mal tourner.

    Un voyage intérieur

    Son écriture sobre, dépouillée, et pourtant magnétique et incantatoire, fait exister de saisissants tableaux.

    Laurent Mauvignier nous fait ainsi voyager dans les paysages extraordinaires du Kirghizistan. Son écriture sobre, dépouillée, et pourtant magnétique et incantatoire, fait exister de saisissants tableaux. De même, on décèle une certaine connaissance des us et coutumes, du mode de vie et de l’identité de ce pays où un homme « qui n’a pas de cheval n’a pas de pieds ». Malgré cela, le véritable voyage est celui de l’intériorité des personnages qui ont eu besoin de ce cadre (ou de ce hors-cadre, selon le point de vue) pour se réfléchir, pour se penser et surtout pour se raconter.

    Sibylle fait le constat de la perte prochaine de son fils lorsqu’elle apprend qu’il s’est enfoncé un peu plus loin dans la délinquance. Samuel, en plein décrochage scolaire, a fini au commissariat de police après une soirée alcoolisée qui s’est mal terminée. Sybille n’est pas en meilleure forme. Divorcée, elle s’enfonce dans la dépression, elle boit, elle fume. Elle a l’impression d’avoir raté sa vie ou de ne l’avoir jamais réellement commencée. Les relations entre la mère et le fils sont tendues. Malgré les réticences de son ex-mari absent, Sibylle décide de renouer avec Samuel dans un voyage au Kirghizistan. Nonobstant les liens difficiles avec sa mère, Samuel comprend très vite qu’il n’a pas d’autre choix que d’accepter. Sybille lui tend une main, lui offre la possibilité d’une seconde chance, de faire autrement. Pourquoi le Kirghizistan ? Grâce à ses origines, Sybille parle russe. Les deux personnages partent alors découvrir le pays à cheval. Ils ne semblent pas voyager à deux mais plutôt l’un à côté de l’autre. Finalement, peu de paroles sont échangées entre les deux êtres. Ils laissent découvrir leur intériorité au lecteur, et à l’autre, à travers les latences des non-dits, les réflexions intérieures ou encore leurs émanations écrites ou musicales. Le livre pose la question de la relation mère-fils et de sa possible condamnation. Les deux personnages chevauchent de déceptions en déceptions, d’incessants reculs en retours en arrière.

    Ecrire le désenchantement

    Laurent Mauvignier écrit, contre toute attente, le désenchantement, l’avortement des rêves ambitieux.

    Le point fort du roman réside dans sa lutte contre la tentation persistante de la facilité. Laurent Mauvignier écrit, contre toute attente, le désenchantement, l’avortement des rêves ambitieux. Sybille en avait beaucoup : écrire un livre, devenir chirurgienne… Et Samuel ne semble jamais en avoir eu. Ils incarnent deux générations : celle de ceux qui ont perdu leurs rêves et celle de ceux qui ne les ont jamais trouvés. Ce qui emporte la curiosité du lecteur c’est que ce roman représente un désenchantement pour lui aussi. Une certaine impression de fatalité le gagne peu à peu. Continuer n’est pas un roman d’apprentissage classique où les deux personnages, en se côtoyant, réapprendraient de façon linéaire, doucement, progressivement, à s’aimer. L’ouvrage est composé d’obstacles, d’erreurs de parcours et de reculs incessants. La relation mère-fils est désenchantée, elle fait un pas en avant pour plus vite en faire trois en arrière. Samuel ne devient pas un héros qui sortirait grandi des épreuves. C’est seulement à la fin, par sa précipitation aux péripéties, que son destin changera.

    Ecrire la mort et la haine

    Dans une ambiance de fin du monde, Sibylle tente de sauver la vie de Samuel en négligeant la sienne tandis que ce dernier ne cherche à sauver personne, sauf sa propre peau, quand il le faut.

    Le livre comporte trois chapitres qui forment un triptyque : « Décider », « Peindre un cheval mort » et « Continuer ». Le titre concerne seulement la toute fin du roman, lancé comme une note d’espoir. Avant le dernier chapitre, surprenant et magistral, le livre est rempli de pulsions de mort, de haine. Dans une ambiance de fin du monde, Sibylle tente de sauver la vie de Samuel en négligeant la sienne tandis que ce dernier ne cherche à sauver personne, sauf sa propre peau, quand il le faut. Le voyage lui-même est dans la continuité d’un précédent voyage de Sibylle où la mort l’avait effleurée. Au Kirghizistan, les deux personnages tentent d’apprivoiser leur haine réciproque. Le danger, la violence et la mort tournent au-dessus de leurs têtes tels des vautours, auxquels s’ajoutent le mépris, l’incompréhension ou encore la pitié. Ce mélange explosif organise la relation dysfonctionnelle et handicapante de Sibylle et Samuel. Les explications tardives et le dénouement, surprenants et politiques, donnent tout son sens à l’ouvrage. Le lecteur comprend mieux les origines de cette haine qui réside dans les non-dits. Tout abandonner, partir loin pour repartir de zéro semblait être le projet de départ. Tout au long de l’œuvre, dans une écriture presque fataliste, l’auteur nous laisse penser que ce dessein est impossible et ne fait qu’anticiper une fin prévisible. Cette fin est toute autre. Nous vous laissons la découvrir.

    Laure Besnier, zonecritique.com
     

    Magistral. "Heroes" de David Bowie, va longtemps résonner à mes oreilles comme le lien invisible mais essentiel entre une mère et son fils, adolescent perdu dans la débâcle entraînée par le divorce de ses parents, l'inexplicable détresse de sa mère. Survient ce voyage quasi-initiatique, dangereux, fou au Kirghizistan qui va révéler le fils, Samuel... L'écriture est très belle, rythmée, sensuelle et minérale.

    Lu en mai 2017 (Emprunté à la Médiathèque de Labarthe sur Lèze)

     

     

      

     

     


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    La 317ème section

    Film de guerre (France, Espagne, 1964, 94 min)

    Cadreur :  : Georges LironLa 317ème section

    Réalisation : Pierre Schoendoerffer, assisté de Philippe Fourastié

    Scénario et dialogues : Pierre Schoendoerffer d'après son roman éponyme

    Musique : Pierre Jansen et Gregorio García Segura

    Photo : Raoul Coutard

    Montage : Armand Psenny

    Directeur de production : René Demoulin

    1er assistant réalisateur : Philippe Fourastié

    Avec... Jacques Perrin : le sous-lieutenant Torrens, Bruno Cremer : l'adjudant Willsdorff, Pierre Fabre : le sergent Roudier,Manuel Zarzo : le caporal Perrin, Boramy Tioulong : le sergent supplétif Ba Kut, Saksi Sbong...

    Producteurs :Georges de Beauregard, Benito Perojo

    Production :Rome-Paris films, Producciones cinematograficas Benito Perojo

    Distribution :  Ciné classic

     

    Synopsis :  

    Mai 1954, en Indochine. Diên Biên Phu va tomber. La 317e section, cantonnée dans le Nord-Laos, reçoit l'ordre de se replier vers le sud, afin de rejoindre une colonne de renfort en route vers Diên Biên Phu. Le sous-lieutenant Torrens, frais émoulu de Saint-Cyr, et l'adjudant Willsdorf, un baroudeur, rassemblent leurs hommes, deux Européens et une quarantaine de supplétifs laotiens. La petite troupe se met en marche, dans des conditions extrêmement pénibles, à travers la jungle et mille dangers. Constamment harcelés par les combattants adverses, les soldats endurent le martyre...

    Tourné au Cambodge, il s'agit d'un des rares films réalisés sur la guerre d'Indochine. Pierre Schoendoerffer, qui a été cinéaste aux armées pendant cette guerre et a notamment participé au siège de Diên Biên Phu, a voulu donner un réalisme quasi documentaire à son film avec une prise de vue faite caméra à l'épaule. Pendant un mois, il a obligé acteurs et techniciens à vivre et à bivouaquer au cœur de la forêt cambodgienne, rendant le tournage particulièrement pénible. « J'ai imposé à tout le monde la vie militaire, dira le cinéaste. Un film sur la guerre ne peut pas se faire dans le confort. Tous les matins, nous nous levions à 5 heures et nous partions en expédition à travers la jungle. Nous étions ravitaillés par avion toutes les semaines. La pellicule était expédiée à Paris dans les mêmes conditions. De là-bas, on nous répondait télégraphiquement 'Bon' ou 'Pas bon'. »

    Jacques Perrin interprète le personnage du sous-lieutenant Torrens et Bruno Cremer celui de l'adjudant Willsdorff.

     

    Dans la presse :

    Cameraman dans l'armée française, Pierre Schoendoerffer a filmé la guerre d'Indochine, de 1952 à la chute de Diên Biên Phu. Réalisé dix ans après, ce premier film constitue un jalon dans l'histoire du genre. Car la fiction est dégraissée de tout superflu : rien n'est laissé au hasard dans ce récit documenté, basé sur une connaissance du terrain et de l'action. Le cinéaste exigea des conditions quasi militaires pour le tournage.

    On suit le périlleux repli d'une section quittant un poste isolé pour rejoindre une zone sécurisée, 150 kilomètres plus au sud. Le groupe comporte une quarantaine d'hommes, pour la plupart laotiens, commandés par une poignée d'officiers français. A sa tête, le jeune sous-lieutenant Torrens, fraîchement sorti de Saint-Cyr, et l'adjudant Willsdorf, ­vétéran de la Wehrmacht. Entre les deux, il y a d'abord friction, puis fraternité. Le sentiment grandissant de déroute funèbre, l'hécatombe, l'agonie de certains soldats, Schoendoerffer les montre de manière implacable et rapide, sans s'apitoyer, même s'il rend hommage aux « rombiers » qui se sont sacrifiés. Le noir et blanc contrasté de Raoul Coutard et l'interprétation formidable de Jacques Perrin, fiévreux, et de Bruno Cremer, bloc de courage et de détachement, suscitent l'admiration. — Jacques Morice (Télérama)


    Au fil des blogs :

    Prenez « Le jour le plus long », avec sa pléiade d’acteurs célèbres. Puis comparez avec « Il faut sauver le soldat Ryan » de Spielberg. A trente ans de distance, vous vous apercevrez que la façon de filmer la guerre au cinéma a énormément évolué et que, de nos jours, le réalisateurs ne craignent pas – ou plus – de montrer sur le grand écran la réalité de la guerre.

    Regardez maintenant la 317e section. Filmé il y a maintenant 46 ans, avec peu de moyens au milieu de la jungle cambodgienne, ce long-métrage n’a pas pris une ride, oserait-on dire, tant son réalisateur, Pierre Schoendoerffer, a fait preuve d’avant-gardisme dans sa façon de fixer la guerre sur la pellicule.

    Car on ne rergarde pas la 317e Section : on est avec cette section de supplétifs tentant d’échapper aux « Viets » et commandée par le jeune – donc inexpérimenté – sous-lieutenant Torrens (Jacques Perrin), secondé par l’adjudant Willsdorf (Bruno Cremer), un Alsacien « malgré nous » qui a connu le front de l’Est sous l’uniforme allemand et qui fait la guerre en Indochine depuis 1946.

    Ce qui fait que ce long-métrage n’est pas un film de guerre comme les autres, c’est que la caméra de Schoendoerffer est en quelque sorte l’oeil du spectateur. D’ailleurs, on pourrait le prendre pour un reportage, ce qu’il n’est pas, à la différence de la Section Anderson (*), sujet d’un documentaire du même réalisateur, produit trois ans plus tard.

    Alors que, d’une manière générale, les films du genre exaltent un certain « héroïsme » qui confine à l’absurde (vous savez, le type qui passe au travers de toutes les balles tirées par une mitrailleuse pour aller sauver son camarade blessés tout en balançant un régime de grenades pour sauver son unité), la 317e section montre, qu’au contraire, le vrai courage ne consiste pas forcément à rejouer la charge de la brigade légère et qu’au contraire, il réside dans des décisions douloureuses à prendre et dans le sacrifice que l’on est prêt à accomplir au bénéfice de tous.

    « Un fusil-mitrailleur bien servi, ça vaut du monde, Roudier (le sergent gravement blessé, ndlr) ça valait quoi lui? Une vitesse d’escargot et Roudier est mort quand même, alors… » dit Willsdorf dans le film afin d’expliquer la raison pour laquelle il a risqué sa vie pour récupérer une arme sous le feu ennemi. « Je vais vous dire quelque chose mon lieutenant. Quand on fait la guerre, il y a une chose dont il faut être sûr. C’est que l’objectif à atteindre justifie les pertes, sans ça, on ne peut pas commander » expliquera un peu plus tard le même Willsdorf.

    En fait, ce film ne porte pas tant sur la vie militaire, mais surtout sur la condition humaine vue au travers d’une expérience militaire. C’est sans doute cela qui explique son succès et le fait qu’il ait traversé le temps sans avoir vieilli.

    Cela étant dit, une version restaurée de la 317e Section sera présentée ce 17 mai au Festival de Cannes, 45 ans après avoir obtenu le prix du scénario sur la Croisette. Une « performance », d’autant plus que la guerre d’Indochine a été très peu abordée au cinéma, voire pas du tout (hormis, encore une fois, les films de Schoendoerffer).

    Les anciens de cette guerre s’estiment oubliés. Sans doute parce que certains détails de ce conflits sont susceptibles de gêner quelques mouvements politiques favorables à ceux qui combattaient les soldats du corps expéditionnaire français… (n’oublions pas les camps de la mort Viet et les blessés débarqués en catimini à Marseille pour éviter les manifestions hostiles de syndicalistes).

    Puisse la programmation de ce film dans sa version « restaurée » réparer pendant le temps de sa diffusion cette injustice.


    A hauteur de soldat, ce long-métrage tourné à la façon d’un documentaire nous plonge en plein cœur du conflit indochinois avec une redoutable efficacité. Un spectacle totalement immersif.

    L’argument : La dernière marche de la 317e section qui, lors de la bataille de Dien Bien Phu, reçoit son ordre de repli. La section est composée de quarante et un supplétifs Laotiens et de quatre Français. Huit jours plus tard, la 317e section n’existe plus, mais pendant cette terrrible marche, deux hommes, l’adjudant Willsdorf, alsacien, incorporé de force dans l’armée allemande et le sous-lieutenant Torrens, frais émoulu de Saint-Cyr, vont apprendre à se connaître et à comprendre, même l’absurde.

    Notre avis : Cameraman au service cinématographique des armées durant la guerre d’Indochine, le réalisateur Pierre Schoendoerffer a également été journaliste à Paris-Match avant de se lancer dans le cinéma de fiction par trois films remarqués à la fin des années 50. Il trouve toutefois sa voie lorsqu’il choisit d’adapter à l’écran son roman La 317ème section, récit largement inspiré par son expérience personnelle en Indochine. Avec des moyens très limités, le cinéaste parvient à nouer des contacts avec les autorités cambodgiennes afin de tourner son film dans des paysages proches de ceux qui ont vu se dérouler cette sanglante guerre d’indépendance entre 1946 et 1954. Une fois la collaboration du Cambodge acquise, Schoendoerffer réunit une équipe de techniciens qui furent autrefois ses compagnons d’armes (dont le photographe Raoul Coutard à qui l’on doit la superbe photo en noir et blanc du film) et quelques acteurs prêts à tenter l’aventure. Dès lors, le réalisateur emploie la technique du tournage-guérilla en imposant à toute l’équipe (une douzaine de personnes seulement) un entrainement militaire, des heures de travail qui correspondent à celles des personnages et un parcours périlleux dans la jungle au rythme des soldats.

    A la manière d’un reportage pris sur le vif, Schoendoerffer s’interdit tout mouvement d’appareil complexe et préfère avoir recours à la caméra portée à l’épaule, anticipant ainsi de plusieurs décennies certaines figures de style récurrentes du film de guerre. Provoquant une immersion totale du spectateur à la suite des soldats de l’armée française (et de nombreux auxiliaires indochinois), le réalisateur ne juge à aucun moment les acteurs du conflit et, avec bienveillance, préfère se concentrer sur le calvaire des hommes pris au piège de cet enfer vert. Ici, point de nostalgie pour une Indochine coloniale, ni même de critique envers les agissements de l’armée, juste des êtres humains qui font leur devoir avec une certaine fierté, mais aussi une bonne dose de souffrance et de sacrifice de soi. Soulignant les conditions extrêmes dans lesquelles les militaires se sont battus (la chaleur, l’humidité, les maladies tropicales et un environnement hostile), La 317ème section offre non seulement un point de vue remarquable d’intelligence sur ce conflit meurtrier, mais également de beaux moments de cinéma grâce à la magnifique photo de Raoul Coutard et à l’implication des deux acteurs principaux. Jacques Perrin incarne la droiture avec noblesse, tandis que Bruno Cremer fait un baroudeur convaincant. Leur complicité transparaît à chaque seconde.

    Dans sa volonté de rester sans cesse à hauteur d’hommes, au risque de perdre de vue les enjeux géopolitiques du conflit, La 317ème section anticipe de plusieurs décennies des films américains aussi brillants que le Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino ou le Platoon d’Oliver Stone. Et ce n’est pas le moindre des compliments.

    Notes :

    - Le film a obtenu le Prix du meilleur scénario au festival de Cannes 1965.
    - Jacques Perrin est en 1964 une valeur montante du cinéma français, déjà repéré au théâtre, puis au cinéma dans deux oeuvres de Zurlini : La fille à la valise (1961) et Journal intime (1962). Il restera par la suite un fidèle de Pierre Schoendoerffer pour qui il tourna Le crabe-tambour (1977) et L’honneur d’un capitaine (1982).
    - Même s’il a tourné quelques films avant La 317ème section, c’est ce long-métrage qui a révélé Bruno Cremer au grand public . Il retrouva Pierre Schoendoerffer pour Objectif 500 millions (1966).

    (Virgile Dumez, blog "avoir alire")


     

    L'HISTOIRE

    Une section de l'armée française, composée de quarante et un supplétifs vietnamiens et de quatre Français, reçoit l'ordre par radio de quitter le fortin avancé qu'elle occupe à Luong Ba et de rejoindre un camp retranché à Lao Tsaï. Pendant la marche forcée entre les deux camps, la section apprendra la chute de Diên Biên Phu. Tout un symbole pour nos militaires, qui rendent coup pour coup malgré la fatigue et un moral déjà bien atteint. Arrivés en vue de Lao Tsaï, ils ne trouveront qu'un lointain panache de fumée indiquant que, là aussi, le rapport de force inégal a contraint les défenseurs à la reddition. Le sous-lieutenant Torrens et l'adjudant Willsdorf tenteront alors de rejoindre les montagnes...

    ANALYSE ET CRITIQUE

    Animé par un fort esprit d'aventure et la volonté de devenir cinéaste, le jeune Pierre Schoendoerfferaborde le conflit indochinois comme correspondant de guerre déjà fortement imprégné par ses lectures (Kessel, Conrad), endurci par ses premières expériences de marin, et avec l'héritage moral d'une famille aux racines alsaciennes qui a subi de plein fouet les deux premières guerres mondiales. Fidèle à la parabole des talents qui l'accompagnera toute sa vie, il se jette à corps perdu dans les évènements et fera en Indochine les rencontres importantes qui vont émailler toute son oeuvre ; les lieutenants et les capitaines, les amis journalistes, mais aussi les combats éprouvants et la captivité à l'issue de la bataille de Diên Biên Phu. L'homme qui rentre de la guerre après avoir accompli un tour du monde est la somme de tout cela. Il se forgera même un devoir de témoigner, se considérant comme un survivant qui a une dette à rembourser, et il n'aura de cesse tout au long de son oeuvre littéraire et cinématographique de partager les talents que la vie et son courage lui auront confiés. Onze années après la terrible défaite de Diên Biên Phu, La 317ème sectionarrive sur les écrans français.

    Au début des années 60, après une collaboration avec Joseph Kessel, après l'adaptation de deux romans de Pierre Loti, Schoendoerffer n'a pas encore pris son véritable envol et bien qu'ayant écrit son propre scénario, il ne trouve pas de financement pour son projet. Il se tourne donc vers l'écriture, et c'est accompagné d'un roman qu'il se présente de nouveau au public avec succès cette fois-ci car le livre reçoit un bon accueil, ce qui persuadera deux producteurs de se lancer dans l'aventure : Le Français Georges De Beauregard, grand pourvoyeur de la Nouvelle Vague, et l'Espagnol Benito Perojo qui est une figure importante du cinéma en Espagne. C'est à ce moment-là que Pierre Schoendoerffer va constituer un nouveau socle pour son oeuvre à venir, en instituant des collaborations aux allures de troupe, que ce soit avec Georges De Beauregard qui produira tous ses films, avec Raoul Coutard, l'ingénieur image, ancien de la guerre d'Indochine qui tournera beaucoup avec lui, ou avec les deux acteurs têtes d'affiche, Jacques Perrin et Bruno Cremer qu'il retrouvera tout au long de sa carrière. Il faut noter que dans le reste de l'équipe technique et pour les seconds rôles, plusieurs sont des vétérans ou travailleront sur d'autres projets de SchoendoerfferLa 317ème section est son quatrième film.



    Le film s'ouvre sur un plan de termites qui grouillent au sol, accompagné par une musique lancinante de Pierre Jansen. Ces termites, ce sont Torrens ou Willsdorf, ce sont les troupes Viet Minh courant chacun après un destin inexorablement broyé par l'histoire, c'est la description d'un savant travail de sape qui se joue et que rien ne pourra arrêter. L'entrée en scène des deux principaux acteurs est magistrale, en deux plans qui trouvent Torrens (Jacques Perrin) enfournant le drapeau français sous sa veste de treillis et Wilsdorf (Bruno Cremer) au garde-à-vous saluant les couleurs d'une main aussi large qu'un battoir, le tout sur fond de bruit de fusillades. Très vite, les rapports entre les deux hommes deviendront un des centres d'intérêt du scénario. Leurs parcours et leurs caractère si différents, que nous découvrons au détour des conversations au bivouac ou lors de leurs désaccords, signent sans doute deux archétypes de ce qui constituaient les effectifs engagés en Indochine. Un jeune Saint-Cyrien idéaliste d'un côté et un vétéran de la Seconde Guerre mondiale revenu de tout de l'autre, autant dire que ces deux personnages représentent des morceaux de choix pour Schoendoerffer qui les fera finalement se lier d'amitié.

    C'est dans ce credo que l'auteur s'exprime finalement à coeur ouvert. Il a une profonde empathie pour ces types, il les fait s'exprimer et dévoiler le fond de leur pensée. Même de façon abrupte ou maladroite, on touche du bout du doigt des bribes d'explications sur les raisons de leur engagement, de leur présence en Indochine. Willsdorf se voit bien acheter une paillote au bord de l'eau, se marier avec une Tonkinoise, il se sent bien dans ce pays. Ce ne sont pas des réflexions que l'on retrouvera dans les films américains qui traiteront de la guerre du Vietnam un peu plus tard. Il est à noter que Schoendoerffer est allé puiser dans ses racines familiales alsaciennes l'histoire de ce Willsdorf qui est un « malgré nous », ce qui contribue encore à souligner la complexité des situations croisées durant la guerre d'Indochine. L'élaboration du scénario de Pierre Schoendoerffer s'accompagne d'une volonté de réaliser une œuvre vierge de moralisme, pas de leçons, pas de messages. Il est intéressant de remarquer que cette méthode aboutit à une oeuvre « morale » parce qu'authentique.

    Torrens : « C'est dégueulasse. »
    Wilsdorf : « Qu'est-ce que ça veut dire dégueulasse ?! C'est la guerre, ils savent la faire les fumiers. Chapeau ! »


    Fort de son devoir de témoignage, notre réalisateur va avoir un maître-mot durant le tournage, un objectif qui sera sa priorité et qui va donner à La 317ème section son identité et fera aussi son succès et sa renommée : le réalisme. Il commencera par emmener « tout son petit monde » au Cambodge où l'une de ses anciennes relations, le roi Sihanouk lui-même, l'invite à tourner son film et met à sa disposition une section de militaires pour la figuration. Dans cette aventure, tout le monde va perdre des kilos car Schoendoerffermène son monde comme un capitaine de compagnie. C'est à ce prix que la quête de vérité trouvera un écho favorable selon lui. Schoendoerffer va faire reposer l'intérêt de son film sur sa structure même, puisque le narrateur va occuper la position d'un quarante sixième militaire faisant partie de la section : la caméra. Le spectateur n'en sait jamais plus que le lieutenant Torrens ou l'adjudant Willsdorf. Jamais ce quarante sixième protagoniste ne se transporte ailleurs qu'au coeur de l'action, et jamais la caméra ne se départ du point de vue ou de la vision d'un membre de la section. Ce sont les consignes de Schoendoerffer pour une réalisation au service du réalisme, sans mouvements de grue, avec une caméra à hauteur d'homme, mise à part pour l'introduction et la fin du film qui sont des images de jungle ou de rizières prises d'un hélicoptère et opérant comme un lever et un baisser de rideau. Autre grande qualité des images, elles sont toutes parfaitement intelligibles, on a une sensation de caméra à l'épaule au coeur de l'action mais jamais avec les images brouillonnes et illisibles que l'on semble devoir y accoler aujourd'hui. En complément, Raoul Coutard va gratifier son travail en tournant des images en noir et blanc absolument somptueuses, ponctuées de portraits qui mettent les âmes à nu. Le résultat est une part de véracité supplémentaire à l'expertise militaire de Schoendoerffer pour nous mener à des sensations proches du documentaire.

    La 317ème section est une preuve de ce que la Nouvelle Vague est beaucoup plus protéiforme que ce que nos habitudes de penser nous laissent imaginer. Le réalisme quasi-documentaire qui est l'objectif de Schoendoerffer ne vient pas d'une spontanéité du tournage, d'une prise sur le vif, mais d'une expérience vraie de l'homme de guerre rapportée avec précision, d'une grande rigueur des images et d'une écriture très stricte du scénario. Si la présence du producteur De Beauregard et du chef opérateur Coutard, l'époque du tournage, et l'authenticité du film ancrent celui-ci dans la Nouvelle Vague, la méthode employée en fait une antithèse du travail de Jean Rouch par exemple, pour citer un père fondateur lui aussi épris de cinéma documentaire.

    ANECDOTES

    Le film a reçu la Palme du meilleur scénario au Festival de Cannes en 1965, ex-aequo avec La Colline des hommes perdus de Sidney Lumet. Les derniers échanges entre le lieutenant Torrens et l'adjudant Wilsdorf sont un clin d'oeil au final d'A bout de souffle de Jean-Luc Godard, que réitérera Pierre Schoendoerfferdans son film suivant, Objectif 500 millions, en faisant passer le personnage de Bruno Cremer devant une affiche de Pierrot le fou. Bertrand Tavernier est cité au générique de La 317ème section en tant que chargé de presse. La 317ème section était et restera une référence y compris pour les réalisateurs américains, dont Francis Ford Coppola qui n'hésitera pas à rendre un hommage direct à Schoendoerfferdans son film Apocalypse Now Redux. Pour ce faire, il réutilisera l'anecdote métaphorique du blanc d'oeuf qui fiche le camp à travers les doigts pendant que le jaune reste coincé au creux de la main, et fera participer Aurore Clément (créditée au générique du Crabe Tambour) à quelques scènes longtemps restées inédites. En 2010, Pierre Schoendoerffer et Raoul Coutard ont tous deux supervisé une restauration du film sous le patronage de StudioCanal et de la Cinémathèque française.


    (dvdclassik.com)


     

    Coincée entre la Seconde Guerre Mondiale et la Guerre d’Algérie, la guerre d’Indochine fait figure de grande oubliée des guerres menées par la France au XXème siècle. Possession coloniale trop éloignée de la métropole, en comparaison des pays du Maghreb, le conflit ne passionne que peu, tant à l’époque qu’aujourd’hui. Les français, éprouvés par une guerre de 6 ans qui avait vu la moitié de leur territoire occupé, ne s’intéressaient pas à cette guerre qui leur semblait bien lointaine. Et pourtant, des hommes se sont battus et sont morts pour la France, à des milliers de kilomètres de leur patrie.

    Le réalisateur, Pierre Schoendoerffer, pendant le tournage du film

    C’est cette histoire trop souvent oubliée que nous vous proposons de découvrir aujourd’hui, au travers du film « La 317ème section ». Les films de guerre français ne sont pas légions, les bons encore moins, et ceux sur l’Indochine peuvent se compter sur les doigts d’une main. La 317ème section réunit tous ces critères. Sorti en 1956, le film de Pierre Schoendorffer est un vrai bon film de guerre. Engagé volontaire à 24 ans, prisonnier à Dien Bien Phu, Schoendoerffer sait de quoi il parle. Se disant éternellement lié à ses camarades de combat, la 317ème Section est pour lui un moyen de rendre hommage à ceux qui se sont battus en Indo et qui pour certains ne sont jamais revenus… Morts au combat, ou dans les camps Viet-Minh, parfois torturés par certains même de leurs « compatriotes », français communistes, notamment l’nfâme georges boudarel, commissaire politique pour le Viet-Minh et qui ne sera jamais inquiété par la justice à son retour en France. Cinéaste aux armées durant son engagement militaire, Schoendorffer tient à adapter lui-même son propre roman sorti en 1963.

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    L’adjudant Willsdorf (Bruno Cremer)

    Passons maintenant au scénario en lui même. 1954 : La guerre d’Indochine bat son plein. La 317ème section, composée de 41 supplétifs laotiens pour seulement 4 français est obligée d’évacuer le poste avancé qu’elle contrôle pour rallier Tsao-Tsai, située à plus de 100 kilomètres au sud. La section est commandée par le jeune sous lieutenant Torrens (Jacques Perrin), secondé par l’adjudant Willsdorf (Bruno Cremer), vétéran de la Seconde Guerre Mondiale. Dans une jungle hostile, encerclés de toute part par les viets, le voyage sera rude (c’est un euphémisme) pour les membres de la 317ème. Inutile de parler plus de l’histoire, nous laissons au lecteur le plaisir de découvrir les péripéties qui attendent les protagonistes. Nous dirons juste que c’est un film fort, qui donne un visage « humain » à la guerre, et une histoire d’amitié entre deux personnages que presque tout oppose.

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    Le sous-lieutenant Torrens (Jacques Perrin)

    Pourvu d’un petit budget, le film a été tourné au Cambodge dans des conditions très rudes. Schoendoerffer voulait que ses acteurs soient mis le plus possible dans l’état d’esprit des soldats de l’Indo. Et cela se ressent à merveille; écrasés par la chaleur étouffante de la jungle, par le stress permanent d’être pris pour cible par leurs ennemis, on suit avec fascination le calvaire de cette malheureuse unité. Cela donne au film un aspect très brut, à la limite du documentaire. Porté par des acteurs magistraux (Bruno Cremer, impérial), la 317ème section est sans contestation possible un des plus grands films de guerre français, si ce n’est le plus grand. Schoendoerffer recevra à ce titre le prix du meilleur scénario lors du festival de Cannes 1965, lointaine époque où des films ne parlant pas que de lesbiennes hystériques ou d’immigrés malheureux pouvaient encore être primés.

    Concernant Schoendoerffer, qui nous a quitté en 2012, on pourra s’intéresser aussi à « Dien Bien Phu » (1992), son deuxième film sur l’Indochine, mais également aux excellents « L’honneur d’un capitaine » (1982), et « Le crabe tambour » (1977). Pour aller plus loin sur la guerre d’Indochine, les nombreux ouvrages d’Erwann Bergot, spécialiste de la question, permettront aux curieux d’étudier en détail la question.

     

     

    Le film raconte l'histoire de la dramatique évacuation de la garnison d'un poste isolé, une section locale supplétive ravitaillée par voie aérienne, et de son pénible repli jusqu'à son anéantissement.

    Si le roman débute le 26 avril 1953, l'histoire du film débute le 4 mai 1954 et se finit à la bataille de Diên Biên Phu. Ce changement de datation donne l'impression d'un dramatique effondrement général dans cette longue marche où fondent les effectifs, ce qui n'est pas sans rappeler le thème de La Patrouille perdue. Tout un monde s'effondre, les populations les plus amicales ne savent plus que conseiller « Di vê mau lên » (« Partir vite ! »).

    Magnifique photo (noir et blanc très contrasté dans la jungle), Jacques Perrin et Bruno Cremer dans la beauté insolente de leur jeunesse.

    Impossible cependant de passer sous silence le navrant traitement des 'supplétifs' constamment interpellés ("Hé, regarde ça, Rombier !") qui sont rudoyés (coups de savates en guise de réveil, condescendance), qui font l'objet de soins différenciés lorsqu'ils sont blessés... Pour un cinéphile d'aujourd'hui, en 2017, c'est très choquant.

    Vu le 8 mai 2017 (diffusion France télévision, France 5) 

     

     

      

     

     


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    Das Reich : une division SS en France

    Das Reich : une division SS en France

    Film documentaire France, 2015, 89 min)

    Réalisation :  Michaël Prazan

    Auteurs : Christiane Ratiney, Michaël Prazan

     

     

    Producteurs : ARTE France, Nilaya Production

     

    Synopsis :  

    Plongée dans l'enfer des Waffen SS responsables des massacres de Tulle et d'Oradour-sur-Glane en juin 1944. Un documentaire choc signé Michaël Prazan, qui poursuit sa réflexion sur la barbarie nazie.

    Le 6 juin 1944, alors que le Débarquement débute sur les plages normandes, Hitler comprend qu'il a besoin de renforts. Le leader nazi fait appel à la division blindée SS Das Reich, une unité d'élite basée à Montauban. Quinze mille hommes prennent alors la route avec une double mission : rejoindre au plus vite la Normandie et nettoyer les maquis français des résistants qui ne manqueront pas de s'interposer. Cette unité d'élite, composée de jeunes engagés – dont des Alsaciens – et de vétérans rompus aux méthodes punitives, va multiplier les atrocités, notamment à Tulle (98 hommes choisis au hasard et pendus à des balcons ou à des réverbères) puis, plus effroyable encore, le massacre de la population d'Oradour-sur-Glane (642 morts). Plus de soixante-dix ans après, l'histoire retient aussi que la plupart des bourreaux ont été amnistiés ou n'ont jamais été inquiétés.

    La barbarie droit dans les yeux

    Presque uniquement composé d'archives, le film de Michaël Prazan est une plongée dans l'horreur. Le documentariste et auteur poursuit ici sa réflexion sur la barbarie nazie, entamée notamment avec Einsatzgruppen, les commandos de la mort ou Le procès d'Adolf Eichmann. Il enquête avec minutie sur les conditions qui ont permis les atrocités de Tulle et d'Oradour alors que le sort de la guerre se jouait en Normandie. Sans concession et ne détournant pas le regard devant la réalité la plus brutale, il restitue avec force l'enchaînement des faits et permet de ne pas oublier l'innommable.

     

     

     

    Images d'archives déchirantes. Pour que jamais on oublie que la barbarie n'est pas une fable. 

    Vu le 2 mai 2017 (diffusion Arte-tv) 

     

     

      

     

     


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  • Roman

    Home / Toni Morrison

    Home

    traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christine Laferrière.- EditionsChristian Bourgois, 2012

     

     

     

     

     

     

     

    " Toni Morrison nous plonge dans l'Amérique des années 1950.

    « Home est un roman tout en retenue. Magistral. [...] Écrit dans un style percutant, il est d'une simplicité trompeuse. Ce conte au calme terrifiant regroupe tous les thèmes les plus explosifs que Morrison a déjà explorés. Elle n'a jamais fait preuve d'autant de concision. C'est pourtant dans cette concision qu'elle démontre toute l'étendue et la force de son écriture. »
    The Washington Post

    « Ce petit roman envoûtant est une sorte de pierre de Rosette de l'œuvre de Toni Morrison. Il contient en essence tous les thèmes qui ont toujours alimenté son écriture. [...] Home est empreint d'une petite musique feutrée semblable à celle d'un quatuor, l'accord parfait entre pur naturalisme et fable. [...] Mme Morrison adopte un style tranchant qui lui permet de mettre en mots la vie quotidienne de ses personnages avec une précision poétique. »
    The New York Times "

    présentation de l'éditeur


     Dans la presse :

    Dans son dixième roman, Toni Morrison revient creuser son obsession : la violence de la ségrégation et les plaies qu’elle laisse dans les corps et les âmes.

    Dans un club d’Atlanta, un trio de musiciens noirs fait hurler un thème de be-bop. La cadence s’endiable, le batteur, dans un état second, frappe tambours et cymbales comme si la nuit devait s’allonger à l’infini. Incapables de tenir ce tempo, le pianiste et le trompettiste se résolvent à soulever leur percussionniste et l’emmènent, “ses baguettes battant toujours un rythme à la fois complexe et silencieux”.

    L’intrusion de cette musique fantôme dans le dixième roman de Toni Morrison ne surprendra guère ses admirateurs : comme les précédents livres du prix Nobel de littérature 1993, Home propose des personnages hantés par des images et des sons que les autres ne peuvent ni voir ni entendre. Des images et des sons enracinés dans le célèbre “passé qui ne trépasse jamais” d’un autre grand écrivain du Sud américain mutilé, William Faulkner.

    La chair martyrisée au cœur de l’œuvre de Morrison

    Ce passé meurtrier, Frank Money en est depuis l’âge de 4 ans le dépositaire involontaire. Dans une bourgade du Texas, il a vu les habitants de son faubourg noir expulsés par des “individus à la fois avec et sans cagoule”. Un vieil homme, qui s’accrochait à sa demeure, a été battu à mort, puis “ligoté au plus vieux magnolia du comté”. Ainsi associé aux exactions du Ku Klux Klan, l’arbre aux fleurs blanches évoque immanquablement deux vers de Strange Fruit, la complainte révoltée, inspirée par un lynchage survenu en 1930, que Billie Holiday immortalisa en 1939 : “Scent of magnolia, sweet and fresh/ Then the sudden smell of burning flesh” (“La senteur du magnolia, douce et fraîche/ Puis l’odeur soudaine de la chair en feu…”).

    Cette chair, brûlée ou martyrisée, est depuis toujours au coeur de l’oeuvre de Morrison – la soeur de Frank, Cee, s’inscrivant dans une lignée d’héroïnes au corps et à l’âme endoloris. Pour sauver la jeune femme, victime de mutilations infligées par un médecin blanc l’ayant utilisée comme cobaye dans le cadre de ses recherches à visées eugéniste, Frank doit, à son retour de la guerre de Corée, traverser les États-Unis de Seattle jusqu’en Géorgie. En chemin, il est à la fois assailli par le spectacle du racisme quotidien des années 50, harcelé par un mystérieux zazou en costume bleu électrique et taraudé par ses souvenirs de guerre – des souvenirs si traumatisants qu’ils suscitent chez lui un embryon de schizophrénie, dont Morrison rend compte en laissant la narration s’échouer sur l’écueil de visions refoulées, auxquelles s’agrègent d’autres cauchemars, jaillis de l’enfance rurale de Frank et de Cee.

    Une trame empruntée à l’univers des contes de fées

    Pour échapper au sentiment de culpabilité qui en résulte et rebâtir un semblant de foyer, le frère et la sœur devront affronter leur passé et celui de la terre où ils ont grandi – une terre sanglante, où, en écho inversé au passage de Beloved qui voyait une mère trancher la gorge de sa fille afin de lui éviter de tomber aux mains d’une fratrie d’esclavagistes sadiques, un fils est, lors d’une variante sur les combats de gladiateurs de la Rome antique, incité par son père à le poignarder pour lui-même échapper à la mort.

    Il y a vingt-cinq ans, une phrase de Beloved“parfois, il semblait plus sage de ne pas se souvenir” – annonçait le problème auquel Toni Morrison est aujourd’hui confrontée : comment, pour une écrivaine octogénaire, éviter que son nouveau (et bref) roman ne soit éclipsé par le souvenir de ses monumentales oeuvres antérieures ? Sans totalement renoncer aux thèmes sociaux et aux embrasements rhétoriques sur lesquels s’est construite sa mythologie personnelle, la diva en dreadlocks opte dans Home pour une trame empruntée à l’univers des contes de fées. Frank et Cee s’identifient en effet à Hansel et Gretel, les enfants des frères Grimm qui, pour retrouver le chemin de leur maison, sèment petits cailloux blancs et morceaux de pain. Comme dans tout conte, le livre accueille une sorcière (ici, l’aïeule au coeur aussi racorni que ses doigts sont crochus), quelques bonnes fées (une amicale de femmes noires laconiques, dont le sens de la solidarité bourrue permet à Cee de retrouver la santé), un inquiétant lutin (le zazou à éclipses, qui apporte l’indispensable touche de réalisme magique) et un mauvais sort, qu’il importe de conjurer.

    Bâti selon une structure cyclique, Home commence et s’achève donc sur deux versions d’un même événement : au sortir de la prime enfance, les héros terrifiés voient un corps tiré d’une brouette et jeté dans une fosse par des tueurs sans visage ; devenus adultes, ils bravent leurs peurs pour exhumer les ossements et leur donner une sépulture décente. En enterrant à la verticale le cadavre dont le souvenir les poursuivait, les héros s’autorisent eux-mêmes à se tenir debout, à conjurer leurs démons respectifs et à recueillir l’approbation du laurier, “blessé pile en son milieu/Mais vivant et bien portant”, qui a été témoin de la scène. Le chemin de la rédemption et de la reconquête de soi passe par cette fusion avec un environnement poétique et pastoral, la sobriété de cette chute prouvant que l’économie de moyens sied tout autant à Toni Morrison que la pyrotechnie lyrique de ses romans d’antan.

    Bruno Juffin (Les Inrocks)


    Un vétéran noir de la guerre de Corée revient dans son Sud natal pour retrouver sa jeune sœur. La grande dame des lettres américaines à son meilleur.

    Un jeune homme s'enfuit, courant sur des trottoirs couverts de neige, d'un asile psychiatrique de Seattle. Il s'appelle Frank. Il a, pour reprendre le titre français du Steel Helmet de Samuel Fuller, «vécu l'enfer de Corée». Il est noir. Il veut rejoindre la Géorgie et porter secours à sa petite sœur, Cyndra, dite Cee, qui, après avoir fui la misérable ferme familiale pour suivre à la ville un bel escroc qui l'a abandonnée, est tombée dans les griffes d'un médecin expérimentateur, à qui elle sert de cobaye.

    Après la Corée, après les quelques mois suivant sa démobilisation, passés au nord de la côte Pacifique, Frank aspire à retrouver Atlanta, son foyer, son «home». Il en est de même pour Cee, qui a été moins loin que son frère, mais qui a connu, à sa façon, la solitude, la précarité, le déracinement.

    Le nouveau roman de Toni Morrison est le plus bref qu'elle ait écrit jusqu'à présent: cent cinquante pages, la dimension d'une longue nouvelle. Mais il ne traduit pas un essoufflement de la part du Prix Nobel de littérature 1993. Il s'agit plutôt d'une condensation, d'un précipité - au sens chimique du terme - de ses thèmes et de sa manière. Au fil de ses dix-sept chapitres (dont le dernier est comme un bref poème), il reconstitue toute une saga familiale, l'histoire d'une famille noire du Sud, qui connaît la pauvreté, la violence des dernières années de la ségrégation, et dont les deux rejetons, chacun à sa manière - la guerre en Orient pour l'un, le mariage pour l'autre -, tentent d'échapper à la misère d'un destin programmé, avant de chercher à retrouver leurs racines, et leur foyer, aussi démuni qu'il puisse être.

    Vers un ascétisme formel

    Home commence par une vision presque fantastique: deux enfants assistent à un combat entre des chevaux, et à la mise en terre d'un cadavre, à la sauvette. «Sans jamais lever la tête, juste en regardant à travers l'herbe, on les a vus tirer un corps d'une brouette et le balancer dans une fosse qui attendait déjà. Un pied dépassait du bord et tremblait, comme s'il pouvait sortir, comme si, en faisant un petit effort, il pouvait surgir de la terre qui se déversait.» Ce n'est qu'aux dernières pages du livre que le mystère sera éclairci, et que cette scène fugitive et obsédante, comme un mauvais rêve, prendra son sens et éclairera, rétrospectivement, l'ensemble du roman.

    Ces trois pages sont comme un accord initial, comme un riff au seuil d'un morceau de musique. Et, avec Home, c'est bien de musique qu'il s'agit: Toni Morrison a écrit une partition de musique de chambre, donnant tour à tour la vedette à chaque instrument, à chaque personnage. Une partition dépouillée, réduite à l'os, qui suggère plus qu'elle n'explique, qui va à l'essentiel, et dont la force tient précisément à son apparent dénuement.

    Et pourtant, à travers l'histoire simple de deux jeunes gens perdus dans l'Amérique de la guerre froide, elle reconstitue toute une époque, aux prises avec ses peurs, ses frilosités, ses vieux démons. Le Sud des années 1950 est encore celui de l'avant-Kennedy, le Sud de Naissance d'une nation, le Sud du Fleuve sauvage, le Sud de The Lonesome Death of Hattie Carroll de Bob Dylan. Un Sud dans lequel on organise des combats de nègres, comme des combats de coqs.

    Le 29 mai dernier, le président Barack Obama a décoré de la Presidential Medal of Freedom, la plus haute distinction civile des États-Unis, Toni Morrison et Bob Dylan. Deux immenses artistes, deux légendes, l'une des grandes romancières de l'Amérique et son plus grand poète. Deux irréductibles qui creusent imperturbablement leur sillon, dont chaque œuvre marque un pas supplémentaire vers un ascétisme formel, synonyme de densité et de richesse. Espérons que cette double cérémonie donnera aux jurés Nobel l'idée de couronner enfin l'auteur de Blowin'in the Wind.

    Christophe Mercier (Le Figaro)

     

    Lu en avril 2017 (Emprunté à la Médiathèque de Labarthe sur Lèze)

     

     

      

     

     


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  • Roman

    Mille jours en Tosacane / Marlena de Blasi

    Mille jours en Toscane

    traduit de l'anglais par Marie-Pierre Bay.- Editions Mercure de France (Collection Bibliothèque étrangère), 2011

     

     

     

     

     

     

     

    " Depuis notre premier soir à San Casciano, le bar du village est devenu une véritable annexe de notre maison. Les habitués nous ont adoptés et s'ingénient à nous faciliter la vie. Il y a un téléphone au mur et quand je parle à mes enfants, à mon agent à New York ou à mes éditeurs en Californie, tout le monde se tait en imaginant que je discute avec le président des États-Unis. Le Centrale est notre bureau, notre PC, notre refuge. Je commence à comprendre pourquoi certains Italiens, avant de choisir un appartement, vérifient si le bar le plus proche leur conviendra...

    Après un double coup de foudre dans un bar de Venise et un mariage romantique à l'église du Lido, Marlena, dynamique critique gastronomique américaine, et Fernando, son Vénitien de mari, ont décidé, mille jours plus tard, de s'installer en Toscane. À San Casciano, à peine deux cent cinquante habitants, ils vont vite être la coqueluche des villageois. On s'échange des recettes de cuisine (soigneusement consignées dans ce livre), on fait ensemble les vendanges, la récolte des châtaignes, la cueillette des olives, la chasse aux cèpes et aux truffes. Et Marlena, avec un enthousiasme communicatif, nous fait aussi participer à toutes les fêtes locales dans des pages pleines de saveurs, d'odeurs et de couleurs."

    présentation de l'éditeur


     

    Lu en avril 2017 (Emprunté à la Médiathèque de Labarthe sur Lèze)

     

     

      

     

     


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